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esprit. Quoique les juges fussent nommés par le prince et pussent être à tout moment révoqués par lui, ils étaient respectés de lui-même et du public.

Ils ne restèrent pas d’ailleurs bien longtemps dans la situation instable et précaire qu’ils avaient eue à l’origine. Nommés d’abord pour chaque session, ils ne tardèrent pas à être nommés à vie. Deux mandemens de Philippe de Valois, aux dates de 1337 et de 1341, marquent bien que les fonctions de président et de conseiller étaient viagères. Les états-généraux de 1356 avaient exigé la destitution de plusieurs magistrats ; ils furent réintégrés dans leurs fonctions par Charles V. Plus tard, Louis XI établit formellement la règle de l’inamovibilité de la magistrature. Son ordonnance à ce sujet est digne de remarque. « Considérant, dit-il, que en nos officiers consiste, sous notre autorité, la direction des faits par lesquels est policée la chose publique de notre royaume, et que d’icelui ils sont les ministres essentiaux, comme membres du corps dont nous sommes le chef ;… ayant aussi entendu et connaissant que plusieurs de nos officiers, doutant choir en l’inconvénient de destitution, n’ont pas tel zèle et ferveur à notre service qu’ils auraient si n’était ladite doute,… statuons par ces présentes que désormais nous ne donnerons aucun de nos offices, s’il n’est vaquant par mort ou par résignation faite de bon gré et consentement du résignant, ou par forfaiture préalablement jugée et déclarée judiciairement. » On peut observer que cette inamovibilité n’était pas le privilège des magistrats, elle était accordée à tous les officiers ; les fonctionnaires de l’ordre financier et de l’ordre administratif en jouissaient aussi bien que les juges. Que cette règle fût souvent violée, nous ne devons pas en être surpris ; elle était trop étendue, trop absolue pour ne pas être dangereuse, et pour que la royauté ne se crût pas souvent dans la nécessité de s’en écarter. Il faut reconnaître aussi que, si les rois faisaient volontiers des lois excellentes, ils n’éprouvaient aucun scrupule à les enfreindre. Du moins ressort-il de tout cela qu’au XVe siècle, sauf de rares exceptions, la magistrature était inamovible, et que c’étaient les rois qui avaient posé cette règle.

Il arriva même d’assez bonne heure que les rois renoncèrent à choisir eux-mêmes les magistrats ; Bodin dit avoir lu dans les registres du parlement une ordonnance de 1308 d’après laquelle les charges de conseiller devaient être conférées par élection. Si nous n’avons plus cette ordonnance, nous en avons du moins une de 1344 dans laquelle Philippe de Valois déclare que « nul ne sera mis au lieu de président ou conseiller, si il n’est témoigné par le chancelier et par le parlement être suffisant à exercer ledit office. » De ceci à l’élection, il n’y avait qu’un pas. Une ordonnance de 1400 prononce