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qui, après avoir été prononcés par le parlement, ont été cassés par le roi : cette magistrature n’avait donc aucun pouvoir qui lui appartînt en propre. Son langage pouvait être fier vis-à-vis des plaideurs ; il était humble vis-à-vis du roi. Lorsque le parlement lui écrivait, il commençait sa lettre par cette formule : « notre souverain seigneur, tant et si humblement que pouvons, à vos bonnes grâces nous recommandons ; » lorsqu’il se présentait devant le roi, présidens et conseillers se mettaient à genoux, et gardaient cette posture jusqu’à ce que le roi leur eût permis de se lever.

Mais dans l’ancien régime les apparences de la sujétion étaient toujours plus fortes que la sujétion même. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, la règle était toujours l’obéissance, la pratique était souvent la liberté. On ne voit pas que cette magistrature du moyen âge ait jamais protesté contre l’état de dépendance où elle était placée ; on ne voit pas non plus que cette extrême dépendance lui ait enlevé ni la liberté de ses jugemens ni l’estime du public. Les vieux registres du parlement mentionnent des procès dans lesquels le roi était partie, chose fréquente dans l’ancien régime : les juges royaux appelés à prononcer entre le roi et un seigneur donnent souvent gain de cause à celui-ci, et, lorsqu’ils jugent en faveur du roi, nous ne reconnaissons à aucun signe qu’ils fassent œuvre d’injustice ou de servilité ; nous ne voyons ni que les rois cherchent à leur imposer leur volonté, ni que les plaideurs soient en défiance contre leurs arrêts. Des hommes qui sont en désaccord d’intérêt avec le roi sont souvent les premiers à demander que l’affaire soit examinée par les juges royaux ; il ne paraît pas que ni le public ni les juges se soient plaints à cette époque du manque d’indépendance de la magistrature. C’est qu’elle avait au moins cette indépendance morale qui s’attache au caractère et à la profession, et que les mœurs assurent quand les lois ne pensent pas à l’accorder. Ces hommes possédaient une grande force, la science ; ils avaient précisément celle qui passait alors pour la plus utile et la plus précieuse de toutes les sciences, la science des lois. La société avait pour eux un grand respect ; on les regardait comme chevaliers, on les mettait sur le même pied que les gentilshommes, on les appelait « les seigneurs de la cour du parlement. » Les rois ne pouvaient pas traiter avec hauteur des hommes que le public vénérait. Que le corps du parlement s’agenouillât devant eux, c’était une forme d’étiquette qui n’avait pas en ce temps-là la signification qu’elle aurait aujourd’hui ; de fort grands seigneurs s’agenouillaient pour prêter hommage ou pour être armés chevaliers. Croyons bien que, lorsque les rois voyaient la magistrature plier le genou devant eux, l’idée de la mépriser n’entrait pas pour cela dans leur