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le régime monarchique put, sans protestation sérieuse de la part des populations, remplacer le régime féodal.

Il se produisit en même temps dans les esprits une idée nouvelle à l’égard de la royauté. Il serait trop long d’indiquer ici de quelle façon les hommes des siècles précédens avaient considéré la royauté féodale ; ce que nous pouvons dire, c’est qu’à partir du XIIIe siècle les esprits comprirent la royauté autrement qu’ils ne l’avaient comprise jusqu’alors. Or ce sont les légistes qui ont le plus travaillé à ce changement d’opinion. Ce n’est pas qu’ils fussent de parti-pris les adversaires des idées établies et des opinions qui étaient reçues avant eux ; mais leurs habitudes, leurs travaux, leurs études de prédilection, donnèrent à leur esprit un tour nouveau, et l’inclinèrent à certaines idées monarchiques que les siècles précédens n’avaient pas eues. Voilà encore un fait qui peut nous surprendre et qui s’éloigne fort de ce que nous voyons autour de nous : de nos jours, ce sont en général les légistes, du moins ceux qui invoquent les lois, sinon ceux qui les appliquent, qui ont le moins le culte de la monarchie, — nous n’avons pas à rechercher par l’effet de quelles habitudes d’esprit les avocats, depuis environ cent vingt ans, forment volontiers la partie, la plus antiroyaliste de la société française. Ce fut le contraire au moyen âge. Du XIIIe au XVIIe siècle, les avocats comme les magistrats, et en général tous ceux qu’on appelait légistes, se firent les défenseurs ardens du principe d’autorité ; on peut dire qu’ils travaillèrent alors à la grandeur des rois avec le même zèle et la même passion que quelques-uns d’entre eux mettent aujourd’hui à les combattre. C’est que ces hommes qui passaient leur vie à lire les lois romaines, et qui ne lisaient guère d’autres livres, y trouvaient à chaque page l’image d’une monarchie toute-puissante. Vue à travers ces lois, loin de la réalité et de la pratique, cette monarchie leur apparaissait comme toujours juste, toujours impartiale, toujours vigilante et tutélaire ; elle leur sembla donc le modèle et le type le plus achevé des institutions humaines. Ils la considérèrent comme la source unique du droit, et par conséquent comme l’unique garant de la sécurité de la vie sociale. Ces légistes, par cela seul qu’ils étaient imbus du droit romain, se prirent à détester le régime à la fois hiérarchique et libéral du moyen âge, et ils appelèrent de leurs vœux la naissance d’un régime nouveau où il y eût moins d’inégalité entre les sujets et plus d’obéissance au souverain : d’eux nous est venu ce courant d’aspirations égalitaires et royalistes à la fois qui circule à travers toute notre histoire. Ils traduisirent les formules monarchiques qu’ils trouvaient dans les lois des empereurs romains. L’un d’eux écrivait : « Le roy est empereur dans son royaume, » et il concluait de là que le roi devait