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de la petite flûte que les paysans appellent svirka, ou de la gousla à trois cordes, qui n’ont jamais été recueillis et mériteraient de l’être ! Il ne faut chercher dans ces compositions aucune des qualités qui font la beauté des pesmas de la Serbie, des tragoudia de la Grèce moderne. La poésie populaire en Grèce a ce rare privilège de nous présenter presque toujours des sentimens antiques dans toute leur pureté. Non-seulement on y retrouve des souvenirs de la mythologie ancienne, les nymphes, les sirènes, le Tartare ; mais, ce qui nous touche davantage, une philosophie de la vie et de la mort qui n’a rien ni d’occidental ni de chrétien et qui nous reporte aux époques florissantes de l’hellénisme. Nombre d’usages d’autrefois, nombre de scènes figurées sur le marbre ou sur les œuvres céramiques, bien que vieilles de deux mille ans, n’ont pas de meilleur commentaire que les chansons des paysans grecs modernes ; on peut même aller plus loin. L’art et la poésie, surtout en Attique, avaient choisi des sujets parmi les vieilles traditions, souvent avec un goût difficile ; mais au-dessous du génie grec, que représentaient les maîtres illustres, vivait l’esprit du peuple : cette âme plus simple ne se retrouve-t-elle pas dans les chants du Péloponèse et de la Béotie, de la Thessalie et de l’Épire ? On a proposé, non sans de sérieuses raisons, de reconnaître dans le romaïque actuel un idiome antique qui ne s’écrivait pas, mais que parlaient, au temps de Périclès et avant lui, les paysans, les hommes tout à fait du peuple. Les sentimens de cette classe si obscure et si peu connue se sont conservés en grande partie, comme sa langue, dans les tragoudia.

A côté des idées toutes païennes, la brièveté même de ces chants, la discrétion avec laquelle le poète d’un mot fait une peinture achevée, l’absence de détails inutiles, la précision des épithètes, l’unité de toutes les parties qui doivent former un ensemble, le sentiment de l’art, toutes ces qualités que le paysan grec a d’instinct ne sont-elles pas un héritage de ses pères d’autrefois ? Les poésies klephtiques ont d’autres mérites ; mais ceux-là, sans parler de la jeunesse, de la franchise, de l’esprit, du patriotisme, qu’on y retrouve à chaque vers, sont assez grands pour ne jamais laisser insensible quiconque a le goût de l’antiquité.

La poésie serbe a souvent toute l’élégance, tout l’éclat de la race même qui l’a créée. Elle chante les batailles des héros de l’indépendance, les grands coups d’épée et les mêlées sanglantes ; elle dit la beauté des femmes blondes ; elle célèbre les puissances mystérieuses de la nature et tout le panthéon païen, que la foi nouvelle n’a pu chasser de la mémoire des Slaves ; ni l’ampleur, ni la délicatesse, ni l’harmonie ne lui manquent ; elle respire la force et l’espérance.

Il ne faut rien chercher de pareil dans les chants que répètent