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économistes les plus orthodoxes ; de tous les moyens de délivrer le territoire de la présence de l’étranger, on n’en peut imaginer de plus commode que celui qui consiste à fumer un cigare. Plût à Dieu que tous les sacrifices que nous commande le patriotisme fussent à si bon compte !

Quelques-unes de ces observations s’appliquent à un plaisir qui est un luxe, quoiqu’il se soit fort répandu, je veux parler de la chasse. Porter, comme on vient de le faire, le permis de chasse de 25 à 40 francs n’a rien d’exorbitant pour des personnes qui n’hésitent pas à se donner ce plaisir, dispendieux par la perte de temps, et qui ne couvre pas toujours par la valeur du gibier tué les frais de chasse. On peut se dispenser d’ajouter à ces justifications le mot de Mathieu de Dombasle : « l’agriculture a deux fléaux, le gibier et le chasseur. » Malheureusement elle en a bien d’autres ; la chasse, dans les conditions de surveillance où elle s’exerce, est beaucoup moins destructive que dans le bon vieux temps. La Fontaine serait obligé d’adoucir les couleurs dont il a peint les ravages exercés par des chasseurs gentilshommes. On respecte davantage la propriété, et nos petits propriétaires, qui sont en général de grands chasseurs, en connaissent le prix. Ce n’est donc pas là un plaisir nuisible en général ; il paraît même plus fait pour fortifier le corps que pour endurcir les mœurs, quoi qu’en disent ceux qui en accusent la barbarie. Il faut joindre au produit de cette taxe l’impôt qui atteint la poudre et les armes qui servent à chasser. Le prix de la poudre de chasse est doublé par le nouveau budget. C’est un ensemble de revenus qu’il n’est pas possible de mépriser, soit qu’il aille à l’état, soit que la commune en profite. Il s’est agi, il y a quelques années, d’imposer aussi les capsules d’un droit de 9 francs par millier de capsules ; les fabricans de capsules ont fait valoir toutes les considérations commerciales qu’il est facile de prévoir. Les capsules fulminantes de poudre de chasse et les cartouches de chasse figurent au nouveau budget parmi les articles imposés.

L’impôt sur les chiens, longtemps repoussé par le législateur, d’abord désagréable au public et qui a fini par s’acclimater, tient compte de l’élément du luxe et distingue en termes exprès les chiens de luxe des chiens occupés à divers emplois, comme les chiens de berger. Le législateur n’a pas commis l’oubli que M. de Chateaubriand reproche à Buffon : il s’est souvenu du chien de l’aveugle, et n’a pas soumis à la taxe de 10 francs, qui frappe les chiens d’agrément et de chasse, les autres catégories, pour lesquelles le droit peut tomber jusqu’à 1 franc. La répugnance qu’inspire chez nous toute taxe ayant une apparence somptuaire s’est témoignée d’une manière bien caractéristique dans la discussion même du projet. Le