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éloge d’un certain luxe utile lorsqu’on ne veut pas que Phidias soit plus rémunéré qu’un maçon ? La plupart des écoles socialistes ou communistes substituent à l’impôt somptuaire l’impôt progressif, ou ne recourent au premier que comme auxiliaire, et sous la forme la plus durement progressive. Il est clair que c’est au luxe et aux inégalités réputées excessives qu’elles s’attaquent par ce moyen. C’est une façon de punir la richesse, et d’arrêter la formation du superflu en en frappant l’usage au-delà d’un certain taux. C’était bien un impôt contre le luxe et les riches que l’impôt progressif établi en 1442 par la démocratie florentine avec ses quatorze degrés de progression, dont le dernier allait à environ 34 pour 100. Il en fut de même de la Hollande obéissant aux mêmes inspirations démocratiques. Dans les deux pays, le luxe fut profondément atteint dans ses formes les plus fécondes, et le capital s’en trouva fort mal, sans que la condition des travailleurs y gagnât. On alléguera peut-être aussi notre impôt progressif sur les logemens à Paris, qui vient d’être porté à 14 pour 100 pour certains taux de loyers, et on y montrera un précédent dont on ne signale que de bons effets. Nous répondrons qu’il n’y a rien là de somptuaire ni même de progressif, si ce n’est en apparence, cette application toute partielle de la progression n’étant qu’un moyen d’arriver au revenu présumé en prenant le loyer pour signe, et de réaliser une proportionnalité plus exacte. L’aspiration vers l’impôt progressif n’est encore de la part de notre démocratie qu’à l’état de désir ; rien dans notre système financier n’en porte réellement la trace.

Entre les impôts sur certaines consommations de luxe et les impôts somptuaires de l’ancien régime ou l’impôt progressif de la démocratie avec ses intentions hostiles au luxe, il y a un abîme. Autrement comment expliquer que des pays comme l’Angleterre, comme la Prusse, qui se soucient peu de donner à l’esprit démocratique des gages exagérés, aient des impôts sur le luxe et même avec un caractère modérément progressif en vue d’atteindre le revenu réel ? Ici l’inspiration, le but qu’on se propose, importent beaucoup, et le même fait matériel peut répondre à des idées fort différentes. De même qu’elle doit rejeter l’impôt niveleur, la démocratie doit repousser l’impôt se faisant pour ainsi dire entrepreneur de la moralisation publique en frappant outre mesure sur toutes les consommations qui présentent quelque inconvénient moral. Cela ne veut pas dire que le caractère immoral de telle consommation n’invite justement le législateur à la peu ménager. On voit par là dans quel esprit nous abordons l’examen des impôts sur les consommations de luxe dans nos budgets. Nous assignons à l’impôt un rôle modeste ; nous nous refusons à en faire l’instrument de la réforme