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« un des signes distinctifs de la garde nationale » suffisait à couvrir « de la garantie reconnue aux corps constitués les citoyens qui se portent spontanément à la défense du pays avec l’arme dont ils peuvent disposer. » Il semblait qu’on fût à la veille d’une guerre comme en Espagne et au Mexique. « C’est la guerre de guérillas, disait précisément le préfet, mais une guerre loyale et sacrée, qui s’organise activement. » Ce document administratif étonna les esprits réfléchis, car ni le pays, ni les habitants ne paraissaient préparés à la guerre à outrance. Sans doute, il n’est pas de mot qui sonne mieux à l’oreille que celui de guerre à outrance dans un pays qui subit la honte de l’invasion : la guerre à outrance, c’est l’insurrection en masse de tout un peuple contre l’étranger ; c’est le paysan embusqué avec son fusil au coin des haies, ou debout sur le seuil de sa maison, la fourche à la main ! On ne peut trouver de plus beau thème pour une proclamation ministérielle, ou un discours public, et nous aurions voulu voir réunis dans le département de l’Aisne, au lendemain de Sedan, tous les partisans de la guerre à outrance. Se seraient-ils embusqués avec un fusil au coin d’une haie ? S’imagine-t-on qu’on trouve partout des fusils et des haies, que nos campagnards soient des paysans de drames patriotiques, tous braconniers ou soldats, que nos campagnes ressemblent toutes au Bocage ou à la Vendée, et qu’il soit si aisé d’y renouveler les scènes des guerres de l’ouest ? Dans l’Aisne, la plupart des paysans n’ont jamais tiré un coup de fusil, ni possédé une arme à feu, et les plaines, qui presque partout bordent les routes de l’invasion, n’auraient point abrité le chasseur d’hommes. A la vérité, on venait d’organiser les gardes nationales ; mais quelle apparence que de petits groupes d’hommes, peu ou point commandés, armés la veille de mauvais fusils ou seulement pourvus « de l’arme dont ils peuvent disposer, » iraient se heurter à ces corps d’armée qui vont défiler à travers les villages, en colonnes serrées, pendant des journées entières ?

Les habitans de Laon ne se crurent pas sauvés pour avoir repoussé une trentaine d’insolens coureurs : ils savaient trop qu’ils ne pourraient lutter contre l’armée qui marchait sur eux. C’est fort bien sans doute pour une ville d’être logée sur un plateau dont les flancs sont coupés à pic, et qui domine de si haut la plaine qu’on aperçoit sur toutes les routes, à dix lieues à la ronde, les quatre hautes tours de sa cathédrale ; mais ce plateau ne peut arrêter une armée, s’il n’est défendu sur tous les points. Or la ville de Laon est à peu près entourée d’un mur, mais d’un mur qui a depuis longtemps égrené son ciment à ses pieds, et en maints endroits ne tient plus que par habitude, un mur pittoresque que l’eau noircit et que la mousse verdit, un mur archéologique où alternent, sans