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rouge, la robe courte de reps, les bas chinés, les souliers à boucles. Elle fut quelque temps à faire sa toilette, qui lui plaisait. Aussitôt qu’elle eut passé autour de son cou le collier de jais et la croix d’argent, elle enferma dans sa malle les vêtemens qu’elle venait de poser, et, s’enveloppant d’une grande cape, elle se mit en devoir de gagner la salle d’attente. Les gens de l’auberge qui la virent passer ouvrirent des yeux ébahis ; elle les laissa s’étonner, elle n’en était plus à un étonnement près.

Le soir, elle était à Lyon ; elle n’en repartit que le lendemain dans l’après-midi. Il est probable que ce qu’elle apercevait au bout de son voyage lui faisait peur, et que par une dernière résistance de la nature elle cherchait à gagner quelques minutes. Ne fallait-il pas d’ailleurs laisser le temps d’arriver à ce maréchal des logis, à ce maître des cérémonies que la mort avait choisi et envoyait devant elle dans un village pour lui préparer une fête ? Marguerite atteignit Genève vers minuit ; elle descendit dans l’hôtel le plus proche de la gare.

Au point du jour, elle écrivit à son parrain une lettre par laquelle, sans lui rien raconter, sans accuser personne, elle lui annonçait sa suprême résolution et le priait d’aller chercher son corps le lendemain dans le village de Confignon ; ce nom avait fini par lui revenir en mémoire. Elle le remerciait d’avoir été le seul qui crût en son innocence ; elle le suppliait de demeurer persuadé qu’en dépit des apparences contraires elle était plus à plaindre qu’à blâmer, et que la détermination qu’elle avait prise lui était commandée par d’effroyables fatalités. Dans une apostille, faisant allusion à l’un des mots favoris du bonhomme : « La vie, ajoutait-elle, est un grand chosier où il y a plus de choses que ne croient les jeunes filles. Ce que j’y ai trouvé m’a donné l’horreur de vivre. Heureusement ce grand sac est troué par le fond, et on peut s’en aller quand on veut. »

Elle glissa cette lettre dans sa poche, puis elle consigna son bagage entre les mains du maître d’hôtel, en lui annonçant qu’elle l’enverrait chercher au premier jour. Cela fait, elle prit un fiacre et se mit en route. Sa route passait devant Mon-Plaisir, qui semblait encore endormi. Elle se fit arrêter à l’entrée du chemin de Perly-Certhoud, et paya son cocher, qui a témoigné plus tard qu’il lui avait trouvé en ce moment un air singulier. Elle s’embrouillait dans son compte, confondait l’or avec l’argent, les pièces de dix sous avec les pièces de cinq francs. Elle finit par s’impatienter, et donna au fiacre tout ce qu’elle avait dans la main.

Le chemin qu’elle suivit est bordé de haies vives et de chênes. Après avoir tournoyé quelque temps, il s’abaisse par une pente