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essayer de pallier ta faute. — Mme Mirion arrivait à la rescousse, et adressait à sa fille un sermon en trois points, où elle lui rappelait ses devoirs envers son mari, ses devoirs envers elle-même, ses devoirs envers sa famille et son pays, lui représentant dans le style de Mme de Sotanville qu’elle était Genevoise, à savoir d’une race trop pleine de vertu pour se porter jamais à faire aucune chose dont l’honnêteté fût blessée. Le bon Dieu venait le dernier ; il n’y perdait rien, on lui avait fait large part. Marguerite ne put supporter jusqu’à la fin cette lecture et ces effroyables lieux-communs d’une morale écœurante et d’un catéchisme asphyxiant, qui pleuvaient comme des tuiles sur sa tête, quand elle avait déjà tant de peine à se tenir debout. Désormais Mon-Plaisir valait pour elle Ornis. Comment s’y prendre pour vivre ? De quelque côté que se portât son regard, elle n’apercevait partout que des impossibilités, des chemins sans issue et des portes condamnées.

Qu’étaient-ce que ces misères au prix du tourment que lui causaient les lettres de Joseph, lequel, après dix jours de silence, s’était mis à lui écrire tous les soirs ! Il avait élu domicile dans un faubourg d’Arnay-le-Duc, où M. Bertrand, heureux d’en être quitte à si bon compte, lui avait expédié sur sa demande son livret et les effets qu’il avait laissés à Lyon. Sourd à tous les propos qui se tenaient autour de lui, Joseph travaillait chez un charron ; son apprentissage avait été court, il savait déjà son nouveau métier. Par malheur il employait une partie de ses nuits à barbouiller du papier, et ces barbouillages faisaient le désespoir de Marguerite. C’étaient des plaintes, des gémissemens, des tendresses, des adorations, des suppliques passionnées, interrompues par des objurgations non moins pathétiques, par des ironies, des amertumes, auxquelles se mêlaient des raisonnemens infinis sur ce qu’il appelait la grande injustice sociale, des anathèmes contre l’esprit de caste et les préjugés bourgeois, de lyriques et verbeuses apostrophes au peuple, au prolétaire, à l’ouvrier, à cette éternelle victime, à cet éternel paria. Ces grands mots et ces grandes phrases recouvraient par endroits de petites menaces voilées qui ne laissaient pas d’être claires, et qu’on voyait pointer sous cette rhétorique ampoulée comme des écueils à fleur d’eau.

Marguerite avait le double chagrin de lire ces lettres et d’y répondre ; ajoutez la crainte incessante que l’un de ces plis dangereux ne s’égarât ou ne fût intercepté. Elle s’appliquait à calmer, à ramener Joseph par toutes les considérations que lui suggérait son esprit aux abois ; réduite aux extrémités comme une ville assiégée et bloquée, elle s’ingéniait, recourait aux expédiens. Après avoir fait vainement appel à la sagesse de ce frénétique solliciteur, après