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n’avait besoin que d’une goutte de rosée. Elle le fit asseoir, elle le fit causer, sans craindre un instant qu’on les vînt surprendre. Sa libérté lui était rendue ; pouvait-elle en faire un meilleur usage ? Joseph lui apprit ce qu’il avait dit et fait pendant ces trois jours. Elle éprouva un grand trouble, une profonde émotion en apprenant qu’il savait tout ; elle se rassura bien vite en se disant qu’il lui appartenait, qu’elle pouvait compter sur lui comme sur elle-même.

Quand il eut terminé son récit, elle le gronda et le remercia tout à la fois des aventures qu’il avait courues pour elle ; puis elle s’écria : — Quel abîme que ma destinée ! Celui qui m’aurait prédit, il y a six mois, l’avenir qui m’attendait, avec quel haussement d’épaules je l’aurais écouté ! Il me semble que j’étais née pour tout autre chose, pour mener une de ces vies sans événemens, qui se composent de jours où l’on peut chanter et de nuits où l’on peut dormir. Dieu mesure, dit-on, le vent à ses brebis. Qui suis-je pour être ainsi battue de la tempête ? Je crois qu’il y a un malentendu dans tout ceci, que le bon Dieu m’a prise pour une autre et m’inflige des malheurs qui ne m’étaient pas destinés. Ah ! que du moins le monde ignore à jamais la vérité de cette histoire ! Qu’on dise de moi ce qu’on voudra, je ne me défendrai point, et je mourrai sans avoir accusé personne. Je frémirais d’épouvante, si un autre que vous possédait mon secret ; mais de vous qu’ai-je à craindre ? C’est vous-même qui au besoin me rendriez la force de me taire… Quelques épreuves qui m’attendent encore, ajouta-t-elle, je les supporterai avec plus de courage en pensant à l’ami qui m’a été si secourable et si dévoué. Il aurait guéri tous mes maux, si je n’étais une pauvre incurable. Hélas ! il va partir ; peut-être rêve-t-il encore de s’en aller en Amérique… Mais j’y pense, vous m’aviez annoncé que le jour où nous nous reverrions, vous auriez des projets à me confier, des conseils à me demander. Je me sens raisonnable aujourd’hui, depuis deux heures j’ai recouvré la faculté de coudre ensemble deux idées. Profitez de l’occasion pour me consulter. Vous avez donc un secret, vous aussi ? Puisse-t-il être plus gai que le mien !

L’heure suprême avait sonné. Joseph pâlit. Deux chemins s’ouvraient devant lui. Lequel allait-il prendre ? Au bout de l’un de ces chemins, il apercevait les tristesses mornes et les aridités d’un désert ; l’autre conduisait à un précipice. Il mit sa main sur ses yeux, comme un président de tribunal, il résuma rapidement en lui-même les discours des deux avocats qu’il avait entendus plaider dans le bois. Son trouble croissait de seconde en seconde. — Ah ! je n’aurais pas dû la revoir ! pensait-il.

Marguerite le regardait avec étonnement. Elle commençait à