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de l’intérieur de la Prusse et l’état sanitaire de nos ennemis était excellent. » Le maréchal Bazaine pouvait d’autant mieux s’abstenir de communiquer à ses troupes ce dernier renseignement que l’inexactitude en fut établie depuis. Le typhus faisait au contraire de grands ravages dans l’armée prussienne. Près de 500 hommes en étaient atteints chaque jour, et si l’armée française eût conservé des vivres, la continuation du blocus eût coûté aux Allemands des milliers de vies. Il convenait sans doute à la politique du commandant en chef d’accueillir et de propager les bruits les plus inquiétans pour nous. On faisait volontiers circuler parmi les officiers un tableau fort exagéré des obstacles accumulés par l’ennemi autour de la place. Sur un fragment de la carte de l’état-major était même dessinée à l’encre rouge une formidable enceinte de batteries prussiennes. Après la capitulation, M. Marcus, ancien officier du génie, qui visita immédiatement les travaux des Allemands en compagnie de quelques notables de Metz, constata qu’on en avait grossi singulièrement l’importance. « Sur le terrain du château de Ladonchamps, dit un témoin oculaire, on avait traîné à la fin de septembre deux avant-trains de charrue surmontés de tuyaux de poêle qui simulaient des canons. » Une partie des fortifications si minutieusement décrites au quartier-général ne parurent pas plus redoutables à ceux qui les visitèrent. Du haut du Saint-Quentin, il était facile de se convaincre que sur plusieurs points le plan dressé par les ordres du maréchal Bazaine n’avait rien de sérieux.

En même temps qu’on exagérait aux yeux des soldats la force de la Prusse, on ne leur communiquait de l’intérieur de la France que des nouvelles décourageantes. Au retour du général Boyer, qui, d’après le rapport même du commandant en chef, ne tenait ses renseignemens que d’une source prussienne, on s’empressait d’apprendre à l’armée ce que racontait cet officier. On donnait ainsi une sorte d’autorité aux rumeurs les plus fausses, à des récits imaginaires dont on eût dû se défier comme d’un piège de l’ennemi. Les Prussiens, disait-on, marchaient déjà sur Bourges ; Rouen et Le Havre demandaient des garnisons allemandes pour se préserver de la révolution ; le gouvernement de Tours avait fui d’abord à Toulouse, puis à Pau. La France ne s’armait pas, nulle part il ne se formait d’armée régulière ; les puissances étrangères ne témoignaient aucune bienveillance, aucune velléité d’intervenir. L’Italie profitait même de nos embarras pour réclamer la Savoie, Nice et la Corse. On préparait évidemment les esprits non au combat, mais à la fin de la lutte. Depuis longtemps, le maréchal Bazaine était résigné ; on prétend même que dès le 11 septembre, dans une conversation avec des officiers de grand’garde à Saint-Ladre, il avait