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s’évanouissait. Il n’y avait plus maintenant d’illusions à entretenir ; l’heure était venue d’expier toutes les fautes, le châtiment commençait. Le prince Frédéric-Charles guettait sa proie, la voulait tout entière, et signifiait durement, le 24 octobre, que le temps des négociations était passé. L’horreur de la situation apparaissait à tous les yeux dans son implacable réalité ; les chevaux se traînaient mourans sur les routes, après avoir mangé l’écorce des arbres, les bois des voitures et les crinières de leurs voisins de piquet. Les hommes, épuisés par de longs jours de jeûne, sans pain et sans abri, les tentes et les vêtemens traversés par les pluies froides de l’automne, grelottaient silencieusement dans la boue du bivouac. Comment conduire maintenant au combat cette armée exténuée qu’on avait laissée se fondre dans l’inaction, et qui six semaines plus tôt eût accompli de grandes choses ? Comment obtenir d’un vainqueur impitoyable et instruit de sa détresse quelque adoucissement à son sort ? On n’en obtint aucun ; il fallut subir les conditions de Sedan. Cette capitulation, qui avait paru ignominieuse, dont la honte avait indigné toute la France, il fallut la recommencer et faire passer encore une fois sous les fourches caudines de la Prusse plus de soldats qu’il n’en avait fallu jadis pour la conquérir.

Sans compter la garnison de Metz, les blessés et la garde mobile, 137,670 Français déposèrent les armes dans la douloureuse journée du 29 octobre ; le maréchal Bazaine essaie en vain de se défendre en prétendant que sur ce chiffre il ne restait en réalité que 65,000 combattans ; mais c’est cela même qui l’accuse. Qui donc par son inaction et ses manœuvres politiques, en négociant au lieu de combattre, avait réduit cette armée du Rhin à l’état d’épuisement où elle dépérissait ? qui donc, pour n’avoir pas voulu la conduire au feu quand il en était temps encore, l’acculait aujourd’hui à la cruelle nécessité de se rendre ou de mourir de faim ? Comment d’ailleurs soutenait-on dans les derniers jours le moral des soldats ? Quelles paroles d’encouragement leur adressait-on ? Que faisait-on pour raviver chez eux le sentiment de l’honneur militaire, pour les préparer au besoin à quelque entreprise héroïque, si l’on ne pouvait obtenir de l’ennemi des conditions honorables ? Le commandement semblait prendre à tâche de ne répandre dans l’armée que les nouvelles les plus alarmantes, les moins propres à relever le courage du soldat. Le 17 octobre, une note officielle énumérait avec complaisance les forces de l’armée d’investissement ; « les corps prussiens, y disait-on, étaient placés sur trois lignes, et derrière cette triple chaîne se trouvaient de nombreux régimens de landwehr organisés en divisions ; des renforts considérables venaient d’arriver