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corps de la place ; il aurait même été reconnu qu’elle ne pouvait tenir plus de quinze jours sans la protection de l’armée. Affirmation étrange dans la bouche d’un général qui avait annoncé l’intention de quitter Metz dès le 14 août, et qui allait en apparence recommencer le 31 une tentative analogue ! Ainsi donc l’empereur et le maréchal Bazaine, en s’éloignant de la ville avec leurs soldats, la sacrifiaient d’avance et la livraient à l’ennemi. La considération de son salut, qui ne les avait ni touchés, ni arrêtés le matin du combat de Borny, retenait maintenant l’armée autour de ses murs, quoique treize jours se fussent écoulés, treize jours si utiles pour les préparatifs de la défense. Si réellement Metz ne pouvait se défendre le 14 août, c’était un crime de vouloir l’abandonner ce jour-là, d’exposer à un combat inégal, à une défaite certaine, une place jusque-là imprenable, le meilleur boulevard de la France.

Quelle nouvelle et impardonnable faute de n’avoir pas employé le temps qui s’était écoulé depuis lors, le bon vouloir des habitans, l’énergie de la garnison, les ressources immenses dont on disposait pour compléter les ouvrages de la place ! Que de choses une volonté ferme accomplit en treize jours ! Que de travaux les Russes avaient exécutés autour de Sébastopol dans le même espace de temps[1] ! Il n’en fallut pas davantage à Paris pour organiser la résistance. On nous dira bientôt que les Prussiens ont élevé autour de Metz des retranchemens infranchissables. Avec les forts de Metz pour points de départ, si incomplets, si mal armés qu’ils fussent, que de facilités n’avions-nous pas de plus qu’eux pour nous retrancher dans des positions plus solides que les leurs ! Qui donc enfin parmi les généraux osait fixer le terme de la résistance d’une place de premier ordre défendue par une enceinte qu’aucun ennemi n’avait jamais forcée, habitée par une population intrépide, animée du plus ardent patriotisme, prête à tous les sacrifices pour éviter la honte d’une capitulation inconnue dans son histoire ? Strasbourg, attaqué par 60,000 hommes, résistait sans un seul fort ; les petites forteresses de Bitche, de Phalsbourg, de Toul, résistaient, et l’on estimait à quinze jours la durée de la défense de notre première place forte ! Quel signe manifeste de l’affaiblissement de quelques esprits, de la facilité avec laquelle le commandement militaire passait sans transition de l’extrême confiance à l’extrême découragement ! Après avoir trop peu estimé les Prussiens, on leur attribuait maintenant des qualités extraordinaires, on s’attendait de leur part à des exploits éclatans, on se rabaissait soi-même, on diminuait ses propres forces pour exagérer les leurs.

  1. Un officier supérieur du génie, témoin actif du siège de Sébastopol et du blocus de Metz, affirme que, même au début, il n’y avait pas un seul des ouvrages défensifs de Metz qui ne fût plus en état de résister que la meilleure des positions de Sébastopol.