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sciages de choix pour bois de wagons, bordages et autres emplois n’admettent pas le cœur, qui dans le bois débité est exposé à éclater en se séparant de la pièce dont il fait partie ; mais dans les chênes le cœur forme habituellement une ligne flexueuse, d’où résulte, quand on l’enlève, un énorme déchet dans les bois de dimensions simplement moyennes, soit ceux de 40 à 60 centimètres de diamètre à hauteur d’homme.

Le prix du chêne augmente avec la grosseur, et montre d’une manière évidente l’avantage que présentent les gros arbres. En effet, non-seulement ceux-ci sont primés partout, mais on peut constater que la valeur du stère ou mètre cube est à peu près proportionnelle au diamètre de l’arbre (30 francs dans les arbres de 40 centimètres de diamètre, 60 francs dans ceux de 80, et ainsi de suite). En certains cas même, les bois qui présentent tout à la fois une très bonne qualité et de belles dimensions atteignent des prix bien plus élevés. Par exemple, les puits des houillères du département du Nord, traversant des couches de terrain perméables, sont revêtus de forts madriers de chêne parfaitement assemblés ; ce revêtement est destiné à maintenir les terres et à s’opposer au suintement de l’eau, qui les entraînerait et ruinerait le puits de mine, affouillé sur toute la hauteur de ses parois. Il s’agit ici d’assurer l’exploitation et de garantir la vie des ouvriers ; aussi exige-t-on du chêne de première qualité. Les sols riches du département en fournissent une part. La petite forêt domaniale de Saint-Amand, par exemple, assise sur des terrains très fertiles connus dans le pays sous le nom de boues de Saint-Amand, donne des chênes qui, dans ces conditions tout exceptionnelles, atteignent à l’âge de cent ans jusqu’à 1 mètre de diamètre. Ils sont aussi précieux pour l’industrie des mines que pour la marine de l’état ; mais les arbres conservés au-delà du premier siècle de leur existence sont peu nombreux dans cette forêt comme dans tant d’autres. Les revêtemens des seuls puits de mine du département du Nord consomment d’ailleurs chaque année environ 5,000 mètres cubes de chêne des plus fortes dimensions, qu’il leur faut à tout prix. Ces bois, qu’on va chercher jusqu’en Auvergne, n’ont plus de prix régulier ; on doit passer par les conditions du détenteur, qui jouit ainsi d’un vrai monopole. Ce fait suffit pour indiquer l’augmentation énorme de valeur qui correspond à l’accroissement du diamètre. Si donc on abat des chênes d’avenir, la perte est considérable à tous égards. Que nos chênes au contraire soient conservés jusqu’à complète maturité[1], nos forêts s’enrichiront rapidement, et bientôt, dans trente ans, cinquante au plus, elles offriront une réserve inestimable.

  1. On reconnaît la maturité du chêne aux caractères suivans : les pousses annuelles sont très courtes, le feuillage rare et d’un vert terne ; les feuilles apparaissent de bonne heure au printemps, et surtout elles jaunissent en automne avant les autres ; celles du sommet de l’arbre tombent plus tôt que celles des branches inférieures. La mort naturelle de quelques-unes des branches principales dans le haut de la cime indique que le chêne entre en retour. On dit alors qu’il se couronne ; le bois du cœur commence à s’altérer, l’âge de maturité est dépassé.