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aux Tuileries, Charles X l’aborda en lui disant tout haut : « J’ai lu votre discours avec grand plaisir ; il est très bon. Vous avez défendu votre cause avec zèle, noblesse et talent ; j’en suis enchanté. » En janvier 1829, le plus ferme collègue de M. de Martignac, le comte de La Ferronays, fut frappé d’apoplexie et forcé de demander un congé de trois mois qu’il fallut ensuite renouveler ; le garde des sceaux, M. Portalis, fut chargé de l’intérim des affaires étrangères ; le roi le fit venir et lui prescrivit de mander à Paris notre ambassadeur à Londres, le prince de Polignac ; M. Portalis témoigna quelque surprise. « Eh quoi ! lui dit le roi, ne puis-je donc appeler ici un de mes ambassadeurs sans rencontrer de l’opposition ? » M. de Polignac vint en effet, resta jusqu’à l’ouverture de la session à Paris, et fit même à la chambre des pairs une profession de foi très constitutionnelle. Il repartit pour Londres le 15 février 1829, et M. Portalis fut nommé définitivement ministre des affaires étrangères ; mais le public et le cabinet ne doutèrent pas que M. de Polignac n’eût été appelé pour sonder ses chances d’avènement. C’était en dépit, au dedans, de ces résistances du roi quand il s’agissait non de projets de loi, mais de noms propres, et au dehors tantôt de l’explosion de ses préférences pour ses anciens ministres, tantôt de ses tentatives pour se préparer, le cas échéant, des ministres de son goût, que M. de Martignac et ses collègues avaient à conserver la majorité dans les chambres et à changer le caractère du gouvernement selon le vœu du pays.

La session s’ouvrit le 27 janvier 1829. Les libéraux sensés se rendaient bien compte des périls de cette situation : « Il était clair, dit le duc de Broglie : 1° que le ministère, quelle que fût sa bonne volonté, et elle était réelle à ce moment, ne pouvait plus rien pour nous tant que notre adhésion entière et cordiale ne mettait pas à sa disposition une majorité effective et bien liée ; 2° que, dans l’état précaire où le plaçaient nos hésitations et nos bouderies, il ne tenait qu’à un fil ; 3° que le roi tenait en main le ciseau fatal et n’attendait plus que l’occasion ; 4° que, dans l’impuissance où nous serions, le cas échéant, de former un autre cabinet plus solide et mieux sur ses pieds, le roi aurait beau jeu pour s’adresser à nos adversaires ; 5° qu’enfin, tant que le ministère conserverait en apparence la majorité, le roi se tiendrait pour forcé de le subir. La conduite à tenir était donc pour nous écrite en grosses lettres ; rien n’était plus aisé pour le centre gauche que de se mettre en accord avec le centre droit, et de réduire la droite et la gauche, même unies, ce qui ne pouvait arriver que par accident, à l’état de minorité habituelle. Rien n’était plus aisé dès lors que de prendre à notre compte le ministère Martignac, qui ne demandait pas mieux ; il ne fallait pour cela que mettre de côté nos petites