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cabinet, entrait dans une voie nouvelle ; un autre esprit inspirait sa politique. Charles X devait immédiatement recueillir le fruit de ce changement. » Il le recueillit en effet dans un voyage qu’il fit, du 30 août au 19 septembre 1828, en Lorraine et en Alsace ; il fut partout accueilli, dans les campagnes comme dans les villes, avec enthousiasme. « L’entraînement, dit M. de Vaulabelle, avait gagné jusqu’aux députés libéraux élus dans ces contrées ; Benjamin Constant, M. Kœchlin, M. Casimir Perier, entre autres, se firent présenter au roi, qui décora le dernier. Charles X laissait déborder sur tout ce qui l’approchait la joie dont il était lui-même rempli. Un jour que les acclamations de la foule retentissaient autour de lui avec une force qui ne se lassait pas, il se tourna vers M. de Martignac, et lui dit d’une voix émue et les yeux presque humides : « Ah ! M. de Martignac, quelle nation ! Que ne devons-nous pas faire pour elle ! »

L’émotion de Charles X était sincère. Né avec un esprit superficiel, un cœur facile et crédule, un caractère aimable et vaniteux, élevé au milieu d’abord des flatteries et des illusions de cour, ensuite des flatteries et des illusions de parti, il avait besoin d’être loué, aimé, admiré, encensé. Partout où il rencontrait ces démonstrations, il y prenait un plaisir un peu puéril, et quand ce plaisir lui venait du pays lui-même, il s’y livrait avec abandon et se croyait le maître par enthousiasme et par amour ; mais quand le pays n’était plus là, quand le roi rentrait dans sa vie de cour et l’émigré dans sa vie de parti, alors Charles X retombait sous l’empire de ses habitudes et de ses goûts personnels : les intérêts de l’état, les droits de la nation, les affaires de son propre gouvernement n’étaient plus pour lui que des préoccupations déplaisantes qu’il essayait d’éluder. La politique était toujours la première pensée de Louis XVIII ; elle n’entrait dans l’esprit de Charles X que par force, pour ainsi dire, et quand elle y était entrée, il s’efforçait de réduire sa place au plus strict nécessaire. Il avait reconnu en 1827 la nécessité de changer ses ministres pour avoir la majorité dans les chambres ; il reconnaissait celle de garder les nouveaux tant qu’ils garderaient eux-mêmes cette majorité. Il avait consenti aux mesures législatives indispensables pour leur assurer ce succès ; mais quand le cabinet lui demandait de modifier le personnel de son conseil d’état ou de révoquer un certain nombre de préfets, alors le roi défendait pied à pied ses anciens serviteurs, ou désignait lui-même avec insistance les fonctionnaires nouveaux. « Vous voulez donc que je renvoie mes amis, disait-il à ses ministres, et que j’abandonne mon parti ? » Le comte de Montbel, élu député de Toulouse en 1827, défendit un jour vivement dans la chambre l’administration de M. de Villèle ; peu après, au milieu d’une grande réception