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personnel, et qui me fournit une occasion naturelle d’exprimer publiquement, sans être membre d’aucune des deux chambres, ma pensée sur notre situation à cette époque et sur la conduite qu’il nous convenait de tenir. En mars 1828, M. Vatimesnil, naguère nommé ministre de l’instruction publique, m’autorisait à rouvrir mon cours d’histoire à la Sorbonne. Je le rouvris le 18 avril, et en réponse à la bienveillance du public qui m’entourait : « Je suis profondément touché, dis-je, messieurs, de l’accueil que je reçois de vous. Je l’accepte comme un gage de la sympathie qui n’a pas cessé d’exister entre nous malgré une si longue séparation. Parce que je reviens ici, il me semble que tout y revient comme moi, que rien n’est changé. Tout est changé pourtant, messieurs, et bien changé ! Il y a sept ans, nous n’entrions ici qu’avec inquiétude, préoccupés d’un sentiment triste et pesant ; nous nous savions entourés de difficultés et de périls ; nous nous sentions entraînés vers un mal que vainement, à force de gravité, de tranquillité, de réserve, nous essayions de détourner. Aujourd’hui nous arrivons tous, vous comme moi, avec confiance et espérance, le cœur en paix et la pensée libre. Nous n’avons qu’une manière, messieurs, d’en témoigner dignement notre reconnaissance : c’est d’apporter dans nos réunions, dans nos études, le même calme, la même réserve que nous y apportions quand nous redoutions chaque jour de les voir entravées ou suspendues. Je vous demande la permission de vous le dire : la bonne fortune est chanceuse, délicate, fragile ; l’espérance a besoin d’être ménagée comme la crainte ; la convalescence exige presque les mêmes soins, la même prudence que la maladie. J’y compte, messieurs, j’y compte de votre part, et je n’ai besoin ici de rien de plus. »

C’était dans les chambres, bien plus encore qu’à la Sorbonne, que cette réserve, ces ménagemens de la convalescence étaient nécessaires, et qu’à en croire les apparences, ils devaient être faciles. La session fut convoquée pour le 27 janvier 1829. Dans les cinq mois écoulés depuis la clôture de la précédente, toutes choses s’étaient bien passées et semblaient avoir préparé une situation favorable. Notre expédition en Morée, pour assurer l’affranchissement de la Grèce, avait pleinement réussi. Je la trouve ainsi qualifiée par l’un des historiens les plus contraires à la restauration. « Cette courte campagne, dit M. de Vaulabelle[1], qui n’ajoutait aucun éclat sans doute à l’illustration de nos armes, valut à la France une gloire plus élevée et plus pure, l’honneur d’assurer l’indépendance d’une généreuse nation. L’invasion de l’Espagne en 1823 se trouvait vengée. Le gouvernement, sous la direction du nouveau

  1. Histoire des deux Restaurations, t. VIII, p. 126.