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détails sur ces cinq années d’autant plus volontiers qu’à mon avis M. Guizot, l’un des nôtres et le principal, ne leur a pas rendu tout à fait justice dans ses Mémoires. Dans l’intention, très honorable d’ailleurs, d’exercer envers M. de Villèle le principe suum cuique tribuito (rendez à chacun ce qui lui est dû), il a, je crois, un peu dépassé la mesure ; on dirait, à le lire, que M. de Villèle avait habituellement raison. Raison contre les fous de son parti, à la bonne heure, et encore tout au plus, car que ne leur accordait-il pas ! Mais nous avions raison, nous, contre eux et contre lui ; à nous était la bonne cause. » Je suis convaincu, comme le duc de Broglie, que nous avions raison contre M. de Villèle comme contre les fous de son parti, que notre cause était la bonne, et je me suis plus d’une fois, dans mes Mémoires, exprimé sur M. de Villèle aussi sévèrement que le duc de Broglie le fait dans ses Notes. Voici pourquoi j’ai eu à cœur de mettre aussi en lumière les mérites de ce chef de parti devenu chef de gouvernement. Ce n’est pas seulement à cause de l’habileté qu’il a déployée dans son administration, ni même parce qu’il s’est souvent efforcé de mettre l’esprit de gouvernement à la place de l’esprit de parti ; c’est surtout parce qu’il a sérieusement accepté le gouvernement représentatif et absolument repoussé toute idée de coup d’état. Les coups d’état sont la tentation, la folie, le crime des absolutistes et des révolutionnaires, c’est-à-dire des divers ennemis de la justice et de la liberté. C’est au nom du pouvoir suprême, c’est-à-dire absolu, tantôt du roi, tantôt du peuple, que s’accomplissent les coups d’état, et ils ont tôt ou tard pour conséquence le despotisme ou l’anarchie. M. de Villèle a beaucoup trop concédé au roi, à la cour, à son parti ; il ne leur a jamais concédé la suspension, même momentanée, du gouvernement représentatif et de la charte. C’est là ce qui m’a inspiré le besoin d’être pleinement juste envers lui, même au risque de paraître un peu indulgent.

Les élections de 1827, la chute de M. de Villèle après six années de pouvoir, l’avènement du ministère Martignac, furent une éclatante preuve que, tant que le gouvernement représentatif reste debout et mis en pratique, on peut, on doit espérer le retour vers une meilleure politique et le progrès de la liberté. Un moment le royal patron du vieux parti de l’ancien régime, Charles X, se crut vaincu. En vain M. de Villèle essayait de recruter l’équipage de son navire désemparé ; en vain les politiques les plus considérables, M. de Talleyrand, M. de Chateaubriand, M. Molé, laissaient entrevoir qu’ils seraient disposés à prêter au pouvoir l’autorité de leur expérience et de leur nom ; en vain le prince de Polignac, ambassadeur à Londres, accourut à Paris pour tenter la faveur royale. Le