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pouvait avoir trait de près ou de loin aux origines de la conspiration, en concentrant dans la seconde tout ce qui tenait directement aux préparatifs du coup de main projeté, et je distribuai tous les faits indiqués ou révélés par la procédure conformément à ce double point de vue.

« Mon plan fait, je voulus avoir l’avis d’un homme du métier. J’allai trouver M. Manuel. Je lui répétai ce que déjà je lui avais dit plus d’une fois, que je ne demandais ni n’accepterais de sa part aucune confidence, mais que je recevrais avec empressement ses conseils sur la direction de l’affaire. — Figurez-vous, lui dis-je, que vous êtes l’avocat de Fabvier, que vous avez sous les yeux les résultats de la procédure tels que je vous les indique. Voilà ce que je me propose de dire : est-ce là ce que vous diriez ? — J’obtins son entière approbation ; j’obtins même ultra petita, comme on va le voir.

« Le jour où la mise en accusation du colonel Fabvier devait être discutée, j’allai de bonne heure au Luxembourg pour feuilleter la procédure et vérifier quelques faits. En entrant dans la salle où s’empilaient chaque matin les imprimés à distribuer avant la séance de la chambre, je vis apporter à des d’homme un énorme ballot ; je pris le premier exemplaire, et quelle ne fut pas ma surprise en y trouvant le discours entier que j’allais prononcer dans deux heures rédigé sous forme de mémoire à consulter ! Tout s’y trouvait, le plan général, l’ordre des idées, la marche de l’argumentation, les détails piquans, les incidens propres à tenir les esprits en éveil. M. Manuel, auteur anonyme de ce mémoire, avait retenu trait pour trait, presque mot pour mot, notre conversation, et je n’imagine pas dans quelle intention, moins encore dans quelle espérance il entendait prendre sur moi les devans. Si ce mémoire était distribué, j’avais bouche close ; c’était mon discours qui devenait le plagiat.

« Je pris sur-le-champ mon parti. Je fis enlever le ballot ; on le porta dans le cabinet de M. de Sémonville, à qui j’expliquai toute l’affaire ; nous convînmes que la distribution n’aurait lieu que le lendemain. Le ballot fut enfermé sous clé. A midi, la séance commença selon l’usage.

« Placé l’un des premiers sur la liste des pairs, j’étais des derniers à prendre la parole ; on procédait par appel nominal, et le dernier nommé était le premier appelé. Durant la première moitié de la séance, les affaires du pauvre Fabvier allaient de mal en pis ; il était fort compromis. Dans l’intervalle de répit qui nous était accordé, mes amis eux-mêmes étaient consternés ; il n’y aura pas dix voix pour lui, disait-on de toutes parts. Mon tour vint vers quatre heures. Je parlai environ deux heures. Quand je me rassis et qu’on