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n’y avait point de président du conseil. Ce jour-là, pour la première fois depuis 1789, le côté droit de l’ancien régime prit possession du gouvernement de la France.

Il le garda six ans, et pendant tout ce temps, de 1822 à 1827, la pensée constante du duc de Broglie, le but de tous ses efforts fut, selon ses propres expressions, « de résister à l’ascendant croissant de la contre-révolution. » Il ne le fit point en travaillant au renversement de la restauration, en s’unissant sous main aux complots ourdis dans ce dessein ; il ne prit même, dans son activité parlementaire, l’initiative d’aucune attaque directe et personnelle contre le cabinet du côté droit ; son opposition fut aussi légale et loyale que persévérante et énergique. Il combattit tous les projets de loi qui portaient l’empreinte de la réaction contre les idées, les sentimens, les mœurs de la France nouvelle ; il repoussa toutes les mesures politiques ou administratives qu’il trouvait mal conçues dans l’intérêt du pays ou conçues dans le seul intérêt ministériel. La guerre d’Espagne, acceptée à regret par la faiblesse de M. de Villèle envers son parti, la réduction des rentes proposée pour la glorification de M. de Villèle, furent, comme les lois sur les élections, sur le sacrilège, sur le droit d’aînesse, sur la presse, sur l’indemnité des émigrés, l’objet de la franche et vive opposition du duc de Broglie. Quand il lui arrivait de trouver que le pouvoir avait raison, il se taisait. « Le cabinet, dit-il, n’avait que faire de mon assistance, et je n’avais que faire de la lui offrir. » Une loi fut proposée pour approuver la reconnaissance de la république noire d’Haïti et l’indemnité stipulée en faveur des colons ; plusieurs questions, en apparence assez délicates, furent élevées à ce sujet et vivement débattues par les amis mêmes du ministère. « Quant à moi, dit le duc de Broglie, je n’hésitai pas ; je tenais toute espérance de recouvrer jamais Saint-Domingue et d’y rétablir bel et bien l’esclavage pour une folie odieuse. J’estimais qu’en traitant avec une république, avec une république de mulâtres et de nègres, le gouvernement s’était honorablement élevé au-dessus des préjugés de son parti. Je ne me serais donc pas fait faute de défendre la loi pour peu qu’elle eût été en péril ; mais son sort me paraissait assuré, et je prenais, j’en conviens, un malin plaisir à voir le ministère déchiré à belles dents par les siens, sa majorité se démembrer peu à peu, et grossir à ses dépens le petit parti que nous nommions la défection et qui, dans l’occasion, se rapprochait de nous en rechignant. »

Il lui prit un jour, en 1822, une tentation d’initiative parlementaire. « Depuis longtemps, dit-il, je m’étais proposé d’appeler l’attention du gouvernement, des chambres et du public sur l’état de la législation relative à la traite des noirs et sur ses conséquences pratiques. C’était un odieux scandale et une violation effrontée des