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du vicaire savoyard. Comme lui, je n’avais jamais douté des grandes vérités de la théologie naturelle, j’admirais, comme lui, la vie et le caractère de Jésus-Christ, je trouvais, comme lui, l’Évangile humainement inexplicable ; mais je trouvais, à mon grand regret, sans réponse ses objections contre les miracles et les mystères, c’est-à-dire contre la révélation proprement dite, et, cela étant, je ne me faisais aucune illusion : je concevais parfaitement que, dans un tel état d’âme, si je n’étais pas irréligieux, je n’étais pourtant d’aucune religion. Point de religion sans pratique, point de pratique qui ne soit ou la commémoration d’un miracle, ou le symbole d’un mystère. La religion naturelle sans religion surnaturelle n’est, à tout prendre, qu’un système de philosophie meilleur et plus sensé que son contraire. Je trouvais dès lors très inconséquent le protestantisme qui consistait à tenir l’Évangile pour vrai en s’arrêtant au côté moral et sentimental, et à détourner les yeux de tout le reste, sans en rien admettre et sans en rien rejeter. Je le disais à mon beau-frère, lorsqu’il me consultait dans ses perplexités. — Point de milieu, lui disais-je ; il faut être, comme moi, philosophe chrétien et triste d’en rester là, ou, comme votre sœur, être chrétien tout de bon. L’état d’âme que vous tenez de votre mère, qui le tenait elle-même de son père, était une simple protestation contre l’incrédulité de leur temps et un premier pas vers la foi ; mais un premier pas n’a de valeur que par le second : ou l’Évangile est divin, ou il ne l’est pas ; s’il l’est, tout y est vrai et rien n’y est vain ; s’il ne l’est pas, Jésus-Christ n’a été qu’un sage, comme Socrate ou Confucius, quoique très supérieur à l’un et à l’autre. — Nous discutions alors à perte de vue ; nous reprenions les objections une à une, et ce qui résulta, pour lui comme pour moi, de ces conversations multipliées, ce fut la conviction que ces objections étaient moins concluantes en réalité qu’en apparence. Je ne crois pas me tromper en faisant dater de là la conversion de mon beau-frère, conversion qui fut prompte, fervente et durable ; je suis certain de ne pas me tromper en faisant dater de là, non ma propre conversion, qui fut lente, laborieuse et progressive, mais le commencement de ces études opiniâtres que j’ai poursuivies à travers les distractions de la vie publique, et dont j’ai réuni les fruits dans un grand ouvrage auquel je n’ai mis la dernière main qu’en 1852. »

il retourna à Paris vers le milieu d’octobre 1820, et, quelque sérieuses que fussent encore alors pour lui « les distractions de la vie publique, » comme il les appelle, elles ne tinrent plus, de 1821 à 1830, la première place dans sa vie. Comme il arrive quand ils ont une forte impulsion pour point de départ, les événemens se précipitèrent. Le 29 septembre 1820, M. le duc de Bordeaux naissait. En novembre suivait, sur 220 députés élus en vertu de la nouvelle