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et certainement jamais surpassé dans aucune assemblée délibérante, — rendant coup pour coup, raison pour raison, sarcasme pour sarcasme, invective pour invective. La lutte était homérique. » Dans la séance du 30 mai, en repoussant sur la loi des élections un amendement de M. Camille Jordan, M. de Serre parut adresser tout son discours à M. Royer-Collard. « Il y avait une amertume d’amitié que la chambre ne comprenait pas, mais qui était entendue par ceux qui les connaissaient, et pendant ce temps M. Royer-Collard l’écoutait, le suivait avec sollicitude et bienveillance. Telle est la force des esprits élevés et des caractères sincères qu’il semblait que toute la question fût entre ces trois hommes ; tout le reste de la chambre était effacé ; les violences de la gauche, celles de la droite, tout était oublié ; ces trois hommes seuls débattaient entre eux les plus hautes questions, l’aristocratie et l’égalité, l’empire des souvenirs et celui des institutions nouvelles. On oubliait tout en présence de cette lutte, à laquelle la maladie des adversaires donnait un caractère touchant. — Je pleure sur vous, dit M. Camille Jordan à M. de Serre. — Et moi sur vous, lui répondit le garde des sceaux. »

Les résolutions législatives n’étaient pas les seules pénibles à prendre pour M. de Serre, ni les luttes de la tribune les seules difficiles à soutenir. Le 17 juillet 1820, il nous écrivit, à M. Royer-Collard, M. Camille Jordan, M. de Barante et moi, que nous avions cessé de faire partie du conseil d’état. N’étant membre ni de l’une ni de l’autre chambre, j’aurais pu, si j’avais voulu, après avoir donné au gouvernement mon avis, me renfermer dans mon rôle de conseiller d’état, la réserve et le silence ; mais, en entrant dans la vie publique, je m’étais promis de la prendre au sérieux, c’est-à-dire de manifester toujours hautement ce que je pensais et de ne jamais me séparer de mes amis. Les meilleurs hommes prennent bien aisément les mœurs et les allures du pouvoir absolu. M. de Serre ne manquait assurément ni de dignité personnelle, ni de dévoûment à ses convictions ; il s’étonna que j’eusse, dans cette circonstance, obéi aux miennes sans autre nécessité, et il me le témoigna en m’annonçant ma révocation avec une rudesse naïve. « L’hostilité violente, m’écrivit-il, dans laquelle, sans l’ombre d’un prétexte, vous vous êtes placé dans ces derniers temps contre le gouvernement du roi, a rendu cette mesure inévitable. Vous jugerez combien elle m’est particulièrement pénible. » Je me contentai de lui répondre : « J’attendais votre lettre ; j’avais dû la prévoir, et je l’avais prévue quand j’ai manifesté hautement ma désapprobation des actes et des discours du ministère. Je me félicite de n’avoir rien à changer dans ma conduite. Demain comme hier, je n’appartiendrai qu’à moi-même, et je m’appartiendrai tout entier. »

La session de 1820 fut close le 22 juillet. « Quelques jours avant