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prendre leur point d’appui et leurs moyens d’action dans le régime parlementaire et dans les institutions libérales. Tels étaient M. Pasquier, M. Molé, M. Corvetto, et même à certains égards le maréchal Gouvion Saint-Cyr.

« Un tel roi, un tel premier ministre, un tel ministère, il les fallait conserver comme la prunelle de l’œil ; il fallait non-seulement les maintenir, mais les maintenir dans leurs bonnes dispositions, ou naturelles ou de circonstance. Et pour cela il ne fallait ni les presser outre mesure, ni les effrayer mal à propos ; il fallait même leur passer beaucoup de fautes : on n’est un parti politique qu’à ce prix, on ne garde qu’à ce prix le terrain gagné. Un jour, en 1831, au plus fort des luttes de cette époque, M. Casimir Perier nous disait : — Je n’ai que faire de votre appui quand j’ai raison ; c’est quand j’ai tort qu’il faut me soutenir. — Il était dans le vrai, et cette boutade vaut un axiome. Nous n’en savions pas tant en 1819 ; mais nous en savions déjà assez pour être inexcusables de sacrifier le ministère Richelieu au maintien de la loi des élections de 1817.

« Au vrai, M. de Richelieu n’avait tort qu’à demi et ne s’effrayait pas sans motif ; la loi des élections, bonne en principe, était sur certains points imprudente, et portait évidemment des fruits révolutionnaires. Il n’était guère possible de la maintenir telle quelle, et la preuve, c’est que dès l’année suivante un ministère formé précisément dans cette intention, fut forcé d’y renoncer. »

La preuve ne se fit pas attendre longtemps. Le cabinet du 29 décembre 1818 fut appelé, dès son début, un cabinet doctrinaire. Quoique M. Decazes ne fût pas considéré, et avec raison, comme un doctrinaire, il était l’ami personnel de plusieurs d’entre eux. Leur plus puissant orateur, M. de Serre, devint garde des sceaux. M. Royer-Collard et le duc de Broglie étaient ses amis déclarés. La faveur de M. Decazes auprès du roi et l’influence des doctrinaires dans les chambres, c’étaient là les deux forces du nouveau cabinet : forces réelles, mais insuffisantes, même au point de vue du régime parlementaire que nous aspirions à fonder. Les doctrinaires étaient dans les chambres un groupe d’hommes éminens, interprètes du sentiment et du vœu réels du pays, mais non les représentans de l’un des grands partis politiques alors en scène. Quoiqu’ils fussent avec éclat libéraux et royalistes, ni les libéraux ni les royalistes du temps ne les acceptaient comme leurs chefs, et ne les voyaient avec satisfaction arriver au pouvoir : les libéraux étaient au fond du cœur jaloux de leur succès et les trouvaient trop amis de la restauration ; les royalistes ne leur pardonnaient pas l’ordonnance du 5 septembre 1816 et la dissolution de la chambre de 1815. La faiblesse de cette situation ne tarda point à se révéler : en vain M. de Serre conquit, par son éloquence nerveuse, brillante et passionnée, l’admiration