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relevaient, des questions tout autres étaient engagées sur un théâtre bien différent et avec de tout autres armes. Dans Paris près d’être envahi par les étrangers, au sein de la Sorbonne et du Collège de France, un vif débat s’était rallumé entre le matérialisme, dominant dans la philosophie du XVIIIe siècle, représentée par Condillac, de La Mettrie, Helvétius, le baron d’Holbach, et le spiritualisme du XVIIe siècle, soutenu avec tant d’éclat par Descartes, Leibniz et Pascal. Deux hommes très inégalement éminens et célèbres, M. Laromiguière et M. Royer-Collard, étaient à la tête des deux écoles ; l’un, spirituel disciple de Condillac, dont il s’efforçait pourtant de modifier et de compléter le système ; l’autre, puissant héritier de Descartes, de Leibniz et de Pascal, dont il était digne de porter le drapeau et auxquels il ralliait les plus sagaces et plus judicieux observateurs de la nature humaine, les maîtres de la philosophie écossaise, Reid, Adam Smith et Dugald-Stewart. Entre les deux systèmes et leurs représentans, la discussion était forte, grave, fervente, et agissait puissamment sur la jeune génération qui peuplait alors les écoles, et dans laquelle brillaient déjà des chefs naturels destinés à devenir des maîtres, M. Cousin et M. Jouffroy.

C’est l’honneur et le salut du genre humain que son action soit infiniment variée et son histoire magnifiquement riche, que les plus beaux élans de la pensée individuelle s’y mêlent aux plus importans événemens de la vie sociale, et que les plus grands esprits se complaisent et s’appliquent à ne pas rester étrangers aux méditations de la philosophie, alors même qu’ils se vouent aux rudes travaux de la politique. Rentré à Paris en revenant de Prague et de Vienne, le jeune auditeur, qui venait d’être associé aux négociations diplomatiques, prit un sérieux intérêt au duel philosophique qui tenait en éveil toute la jeunesse des écoles. « M. Desrenaudes me conduisit, dit-il, au cours de M. Laromiguière, dont il était l’ami ; je n’allai pas à celui de M. Royer-Collard, mais ce ne fut point de dessein prémédité. M. Laromiguière professait avec une lucidité merveilleuse et une grâce charmante ; il avait beaucoup d’esprit et de douceur ; il aimait à s’entretenir avec ses auditeurs à l’issue de la leçon. Je fis connaissance avec lui et j’allai souvent le visiter dans son ermitage philosophique. Peu à peu je fus admis par les deux amis à une plus grande intimité. Leur usage dans la belle saison était de sortir, une ou deux fois par semaine, vers trois ou quatre heures du soir, de se promener dans les environs de Paris et de dîner ensemble dans quelque coin. Ils cheminaient d’ordinaire avec d’autres amis, Garat, Daunou, Ginguené ; le dîner se prolongeait assez tard ; on causait à cœur ouvert de philosophie, de littérature et même un peu de politique. Je fus admis à plusieurs de ces dîners champêtres. J’assistai aux vives altercations de Garat et de Laromiguière, l’un