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interlocuteur, que je connaissais bien, me la répéta plusieurs fois comme un écolier répète sa leçon. Il n’était pas homme à l’avoir trouvée tout seul ; il la tenait par conséquent de son patron, lequel de son côté était trop infatué pour que l’appréhension vînt de lui. C’était une appréhension tout impériale. M. de Caulaincourt, à qui j’en fis part à mon retour, n’en douta pas plus que moi. »

Ainsi la crainte d’avoir à compter avec le corps législatif français, c’est-à-dire la passion du pouvoir absolu en France, c’était là le motif dominant pour lequel l’empereur Napoléon refusait à la France une paix qui la laissait souveraine entre les Alpes et le Rhin, c’est-à-dire en possession de ses plus précieuses et plus naturelles conquêtes, et toujours la première puissance de l’Europe.

Le 17 août 1813, tout espoir de paix disparut ; le congrès de Prague fut rompu. « La veille de notre départ, dit le duc de Broglie, M. de Narbonne m’envoya chez M. de Metternich pour régler toutes les formalités relatives aux passeports, sauvegardes, sauf-conduits, etc. ; je m’y rendis en voiture et à la tombée de la nuit pour éviter toute fâcheuse rencontre. Je trouvai toutes les salles qui précédaient le cabinet du prince, et elles étaient nombreuses, remplies d’officiers-généraux, d’officiers de tout grade, d’employés civils de tout ordre et de toute nature. Je n’étais pas exempt de quelque appréhension en traversant cette cohue d’uniformes et d’habits brodés ; je craignais d’entendre quelque propos qu’il me serait également difficile de relever et de passer sous silence. M. de Metternich, je pense, en était également préoccupé, car il vint au-devant de moi, me prit par le bras et me conduisit rapidement dans son cabinet. Le peu que nous avions à régler ensemble était l’affaire de quelques minutes ; mais il me fit asseoir près de son bureau, et me retint plus d’une heure. J’aurais tort de dire qu’entre nous ce fut une conversation, car il parla à peu près tout seul, l’œil humide, les mains crispées, le front couvert de sueur. Il m’expliqua en grand détail les desseins qu’il avait formés, les efforts qu’il avait faits depuis le jour de nos désastres pour conserver la paix et maintenir l’alliance entre l’Autriche et la France, pour concilier les intérêts de son pays et l’indépendance légitime de l’Allemagne avec l’orgueil et les intérêts véritables de l’empereur Napoléon. Il rappela les assauts qu’il avait endurés, les combats qu’il avait soutenus, me prenant en quelque sorte à témoin de l’extrémité à laquelle il se trouvait réduit. Il fit ensuite à grands traits le dénombrement des forces militaires réunies contre nous, en s’empressant d’ajouter que nul ne savait mieux que lui combien l’empereur Napoléon était redoutable, et qu’il ne se faisait point d’illusion sur les périls que l’Autriche allait affronter ; il m’expliqua les préparatifs déjà faits pour l’évacuation de Vienne, et les