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aux vœux du parti, c’était le prince qui en recueillerait les avantages… Le maréchal jugea exacts les renseignemens que nous lui transmettions, son fils le prince de Broglie et moi, sur la politique du prince de Condé ; mais il nous répondit que l’obéissance au roi était une loi qu’il avait respectée toute sa vie, qu’il désirait vivement ne point recevoir les ordres qu’on lui annonçait ; mais que, s’ils lui étaient donnés par le roi, il obéirait. »

il obéit en effet, et prit le ministère de la guerre avec le commandement de l’armée. Des témoignages irrécusables, celui de Louis XVI lui-même, attestent que, modeste dans son obéissance, il fut modéré dans son pouvoir, et ne donna au roi son maître que des conseils dégagés, sinon des erreurs, du moins des passions de son parti ; mais lorsqu’après le 14 juillet et la prise de la Bastille le roi l’autorisait à quitter son commandement et à s’éloigner de France, libre de faire ce qu’il persistait à regarder comme son devoir, c’est-à-dire d’aller défendre du dehors la royauté qu’il n’était plus admis à servir au dedans, le maréchal de Broglie se retira à Luxembourg, prit le commandement d’un corps d’émigrés, et s’engagea dans cette guerre immense dont il était loin de comprendre le caractère et de prévoir la durée, mais dont il était résolu à ne pas reconnaître les résultats s’ils étaient contraires à la cause à laquelle il avait donné son âme et sa vie. Vaincu, sa résolution fut inébranlable ; il renonça à rentrer en France, à retrouver sa famille et ses biens, ne voulut plus entendre parler de son fils, le prince Victor de Broglie, resté patriote libéral, écarta les ouvertures gracieuses que lui fit arriver Napoléon, qui eût pris plaisir à voir dans sa cour naissante le dernier maréchal de la vieille monarchie, et il finit par se fixer modestement à Munster, en Westphalie, où il mourut à quatre-vingt-six ans, en 1804, invariablement royaliste, vieux guerrier et grand seigneur dans son obscure retraite allemande comme dans son château de Broglie.

C’était non pas auprès du maréchal son père, mais en Amérique, à la fin de la guerre pour l’indépendance des États-Unis, et à la suite de l’expédition du général de Rochambeau et de M. de La Fayette, que le fils aîné du maréchal, le prince Victor de Broglie, avait commencé sa carrière. Il parcourut en 1782 d’abord les États-Unis naissans, puis quelques-unes des colonies de l’Amérique espagnole, et il a laissé de son voyage un charmant récit, qui a été publié en partie dans la Revue française de 1828, et dans lequel, « à travers l’étourderie et l’enjouement d’un jeune officier échappé aux salons de Versailles et à la dissipation de Paris, on aperçoit le coup d’œil d’un militaire instruit et d’un observateur judicieux. » De retour en France, le prince Victor de Broglie, âgé de trente-deux ans, fut élu en 1789, député à l’assemblée constituante par la