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désintéressement et la concorde, car c’est une grande école de prudence qu’un grand danger. » Ainsi raisonnait cet Italien, qui aime la France ; mais ici-bas la raison n’a pas toujours raison, et, si je ne me trompe, cela ne se voit que trop à Versailles.

Oui, monsieur, il nous paraît qu’en dépit du malheur et des Prussiens on n’est pas raisonnable à Versailles. Que s’y passe-t-il en effet ? et de quoi vous parlerais-je si ce n’est de la motion Rivet et de l’accueil singulier qui lui est fait dans la chambre ? La conférence de Gastein exceptée, parle-t-on d’autre chose en Europe ? A la vérité, nous ne saurions dire si cette motion était la meilleure qui put être proposée au vote de l’assemblée nationale. Ce qui nous étonne, ce sont les orages qu’elle y a suscités, l’opposition violente qu’elle y rencontre. Depuis huit jours, on délibère, on parlemente, on s’agite, on se livre à des alarmes et à des emportemens, il semble que la chose publique soit en péril ; mais il se pourrait faire qu’il n’y eût de compromis en tout cela que de petits intérêts et de petites passions, ce sont elles qui font le plus de bruit.

Que contient cette proposition qui puisse justifier un si grand émoi ? Quelles que soient les intentions secrètes des signataires, quand elle sera votée par la chambre, qu’y aura-t-il de changé en France ? Ceci seulement : le pays aura la satisfaction de savoir ou de croire que l’homme nécessaire auquel il a confié le soin de ses destinées n’est plus à la merci d’une intrigue ou d’une colère de la droite, qu’il a son lendemain assuré, que désormais il pourra vaquer avec plus de tranquillité d’esprit à son rude labeur, qu’il aura plus d’autorité pour traiter avec l’étranger et pour se faire respecter à l’intérieur. Vaine apparence ! dit-on ; mais n’est-ce rien qu’une apparence qui rassure un pays, qui vient en aide au crédit et à la reprise des affaires, qui rend le courage et la confiance à la charrue comme au comptoir et à l’atelier ? — Pure illusion ! dit-on encore ; ce que la chambre accorde aujourd’hui, ne sera-t-elle pas libre de le retirer demain ? Ah ! permettez, la France a si longtemps vécu d’illusions dangereuses ! Ne lui refusez pas la douceur d’une illusion bienfaisante, qui demain ne sera plus une illusion. La concession que fera l’assemblée sera garantie par ses effets utiles contre les retours et les repentirs des ambitieux et des brouillons ; ils y penseront à deux fois avant de se de juger, avant de reprendre à la paix publique le gage qu’ils lui auront donné ; ils n’oseront affronter les jugemens rigoureux que porteraient sur le décousu de leur conduite et l’atelier et la charrue.

La majorité de l’assemblée, nous en sommes certains, finira par écouter les conseils de la sagesse, et nous ne sommes pas inquiets de son vote ; mais pourquoi n’a-t-elle pas été sage dès le premier jour ? A quoi bon tant d’hésitations ? De quoi sert de manifester si hautement ses déplaisirs et ses répugnances ? Il est fort bien de faire de nécessité