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désir : elle entendait se dégager de cette impitoyable étreinte, respirer et vivre, et pour vivre il lui fallait à tout prix la paix et l’ordre ; elle a élu pour ses mandataires des hommes qui voulaient l’ordre et la paix, sans trop s’informer s’ils voulaient autre chose encore par-dessus le marché, un roi par exemple, ou un demi-roi, une république sans président ou un président sans république. Les peuples n’ont guère qu’une idée à la fois, et quand ils sentent sur leur nuque le talon d’un vainqueur, leur idée est qu’on les délivre au plus vite de ce vainqueur et qu’on les mette en état de ne plus le revoir chez eux ; chez lui, c’est une autre affaire.

Il y a donc toute apparence que l’assemblée nationale a reçu de ses électeurs le mandat de ratifier les conditions de la paix et de prendre un certain nombre de décisions urgentes qui laissaient intacte la grosse question de la forme définitive du gouvernement. L’élaboration d’une loi financière, d’une loi électorale et d’une loi militaire, tel est le travail épineux auquel le pays conviait le zèle de ses représentans, et ce qu’il leur demandait aussi en des jours si troublés et si sévères, c’était de s’inspirer dans leurs délibérations et dans leur conduite de ces vertus de l’esprit qui seules peuvent rasseoir sur ses fondemens une société ébranlée, de cette sagesse qui évite les complications inutiles, de cette modération qui résout les conflits par des accommodemens, de ce patriotisme éclairé qui sacrifie ses visées personnelles à l’intérêt général. Le pays voulait la paix ; il la demandait aux Prussiens, il la demandait aussi aux partis, il les adjurait de désarmer pour un temps, et il leur montrait ses blessures encore saignantes, éloquens avocats de son désir. C’est une triste chose que le malheur ; mais c’est un grand prédicateur de morale, et il était permis d’espérer que les partis l’écouteraient, bien qu’ils aient l’oreille un peu dure et qu’elle ne s’ouvre d’ordinaire qu’à ce qu’il leur plaît d’entendre. Quand on a l’ennemi chez soi et que pour se délivrer de sa présence il faut au préalable verser dans ses mains 5 milliards, il en doit peu coûter, semble-t-il, d’être sage. Que dis-je ? lorsque cet ennemi rapace, qui a converti la guerre en une spéculation financière et commerciale, les aura touchés, ces 5 milliards, il évacuera la Champagne, mais il ne sortira pas de France, puisqu’il gardera Metz et Strasbourg. Et ceci me rappelle le propos que me tenait naguère un Italien, homme de bon sens s’il en fut. « C’est la paix de Villafranca, nous disait-il, qui a fait l’Italie. Si l’empereur, conformément à son programme, nous avait affranchis jusqu’à l’Adriatique, n’ayant plus rien à craindre, la fureur des partis nous aurait déchirés, et c’en était fait de notre unité. Le quadrilatère demeuré aux mains de l’Autriche nous a rendus sages. Pareillement ce sera peut-être le salut de la France, ajoutait-il, que cet odieux traité qui la démembre et lui arrache d’un coup la Lorraine et l’Alsace. Je compte sur le drapeau prussien flottant à Metz pour prêcher aux partis le