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quelques enfans qu’on traîne au soleil, qu’on fait boire et qu’on ramène malades !

Quand donc ceux qui ont la prétention de représenter et de conduire la démocratie se décideront-ils à dire franchement et sévèrement la vérité ? Quand donc, au lieu de se ménager une popularité malsaine, auront-ils le courage de dire à ceux qui les suivent qu’on ne fonde une république que par le respect des lois, qu’on ne se sert pas de l’enfance dans un intérêt de parti ou de secte, qu’on ne se met pas à célébrer des fêtes aux heures de deuil national ? Ce n’est pas seulement à Lyon qu’on donne des fêtes au moins intempestives, c’est dans d’autres contrées de la France, à ce qu’il paraît, qu’on songeait à célébrer par des revues, par des banquets, peut-être par des feux d’artifice, l’anniversaire du 4 septembre, et s’il y a quelque chose de profondément triste, c’est qu’il ait fallu une circulaire du ministre de l’intérieur pour rappeler à ceux qui seraient tentés de l’oublier qu’on devait respecter le malheur public. Sans doute le 4 septembre de l’année dernière l’empire est tombé sans laisser de regrets, et ce n’est pas nous qui le relèverons ; mais la veille l’armée française, elle aussi, était tombée à Sedan, et un peu plus tard notre puissance est également tombée, et aujourd’hui encore les Prussiens sont dans nos provinces qu’ils occupent. Est-ce que la république est faite pour consoler de tout, même des plus poignantes blessures nationales ? Ceux qui dans le midi ou dans d’autres régions privilégiées parlent de célébrer des fêtes ou de pousser à la dissolution de l’assemblée nationale, ceux-là en parlent fort à l’aise ; ils n’ont pas vu l’étranger à leur foyer, ils ne subissent pas une occupation dont la durée peut dépendre de tout ce que nous ferons ; ils devraient se souvenir de ceux qui souffrent. La France pour le moment n’a pas besoin de banquets, de fêtes et de discours après boire ; elle a besoin de beaucoup d’argent pour se racheter, de beaucoup de sagesse pour se conduire, de beaucoup de bon sens patriotique et de dévoûment pour garder le droit de faire appel à l’avenir.

C’est notre malheur, c’est à coup sûr une des amertumes de notre situation que ce sentiment profond des choses n’existe pas partout comme il devrait exister, au point de régler toutes les conduites, de dominer tous les mobiles vulgaires et de devenir la force, la garantie d’une politique faite pour rallier toutes les volontés dans une même œuvre de patiente réparation. C’est notre faiblesse de jouer quelquefois avec nos désastres. Qu’il y ait de la frivolité en tout cela, c’est entendu ; on nous a reproché assez souvent la frivolité française pour que nous sachions à quoi nous en tenir. Que l’esprit de parti ait un rôle égoïste et meurtrier dans nos affaires, nous ne le savons que trop. Que les révolutions de toute sorte qui ont bouleversé la France aient laissé de misérables divisions toujours prêtes à renaître, soit encore. On a dit déjà