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elle aussi, sa fête, la fête des écoles, une façon de célébrer les merveilles de l’enseignement primaire laïque, de la morale indépendante, et de préparer l’enfance à la régénération par les bons principes assaisonnés d’une aimable gaîté. Bref, la cérémonie a été complète, processions, rafraîchissemens, danses et discours, le tout assez saugrenu et aussi parfaitement irrégulier que déplacé. La fête lyonnaise a eu la fortune de retentir jusque dans l’assemblée nationale et de créer quelques embarras à M. le ministre de l’instruction publique et à M. le ministre de l’intérieur ; elle aurait fait sans doute moins de bruit, si elle n’avait sa place dans un certain ensemble de choses, si elle n’était apparue comme un symptôme de la situation de la ville de Lyon. Situation assurément singulière que celle de cette puissante, industrielle et intelligente cité ! Ce n’est pas que le calme y soit moins grand qu’ailleurs, et que l’ordre matériel y soit sérieusement en péril. Les Lyonnais, heureusement pour eux, sont plus tranquilles que ne le disent les nouvellistes, ils n’ont vu passer aucune de ces insurrections qu’on nous annonçait ; l’ordre matériel est d’ailleurs sous la garde d’un homme que M. Thiers appelait l’autre jour avec justice, un des chefs les plus illustres et les plus attachans de l’armée française, le général Bourbaki. Sauf cela, on ne peut pas dire que l’ordre moral soit fort respecté, et que tout aille le mieux du monde.

Depuis un an, la ville de Lyon est partagée entre toute sorte de préfets ou de commissaires extraordinaires qui gouvernent aussi peu que possible, toute sorte d’autorités locales, communes, comités de salut public, qui ont travaillé de leur mieux à désorganiser l’administration en mettant la main sur tout, même sur la police, particulièrement sur la police, on le comprend. Le conseil municipal actuel, quoique régulièrement élu, n’est guère que l’héritier et le continuateur de tous ces pouvoirs qui ont eu jusqu’ici l’ambition d’être les représentans privilégiés de la république et des saines traditions révolutionnaires à Lyon. On a eu notamment la prétention de trancher la question de l’enseignement primaire, on a supprimé les écoles dites congréganistes pour les remplacer par des écoles laïques d’où toute instruction religieuse a été naturellement bannie ; c’est ce qu’on appelait, c’est ce qu’on appelle encore dans le conseil municipal de Lyon rendre hommage au principe moral de la liberté de conscience, et la fête qu’on a donnée n’était que le couronnement du système.

Malheureusement le conseil municipal de Lyon a oublié bien des choses : il a oublié d’abord qu’il n’avait pas le droit de trancher la question de l’instruction primaire, il n’avait pas le droit de modifier des programmes d’enseignement, il n’avait pas le droit de nommer des instituteurs, de sorte que la fête qu’il donnait était en somme une manière de célébrer, avec distribution de vin et de harangues, la violation audacieuse d’une loi dont M. Jules Simon lui-même a dû reconnaître