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son ascendant et de le subir en même temps. Que M. Thiers ait ses vivacités, que l’autre jour, dans cette discussion sur les gardes nationales, il se soit laissé aller à l’impétuosité de ses impressions, nous ne le nions pas ; il faut bien cependant avouer aussi que ce n’est pas commode de gouverner quand on se sent en face de certaines hostilités à peine déguisées, toujours prêtes à éclater, et, pour prendre cette discussion même sur la garde nationale, au fond, M. Thiers avait certainement raison. Une assemblée, si souveraine qu’elle soit, ne peut pas imposer à son gouvernement l’obligation de dissoudre des gardes nationales instantanément, sans tenir compte des circonstances, des considérations d’ordre public, et l’assemblée elle-même l’a si bien reconnu, qu’elle a fini par accéder à un amendement laissant une certaine latitude au gouvernement. Qu’on prenne cette proposition Rivet et l’œuvre de la commission. L’éminent rapporteur, M. Vitet, dans ce langage élevé qui lui est familier, a sûrement atténué autant qu’il l’a pu l’âpreté des opinions. Il n’est pas moins vrai qu’on sent cette âpreté, on voit que la commission marche à contre-cœur. Encore une fois, si la commission croyait devoir résister, elle devait résister ouvertement ; si elle croyait utile, patriotique de céder, elle pouvait au moins céder de bonne grâce et ne pas imposer à M. Thiers l’obligation d’envoyer d’avance sa carte à l’assemblée quand il jugerait nécessaire de se faire entendre. Donner et retenir n’est pas précisément une bonne politique.

Là, par exemple, où la commission a été parfaitement nette, c’est dans l’affirmation du pouvoir constituant de l’assemblée. C’est évidemment une manière de relever un défi, de répondre à cette campagne qu’on semble entreprendre aujourd’hui justement pour contester ce pouvoir et pour provoquer une dissolution prochaine de l’assemblée. La chambre actuelle est-elle destinée à exercer le droit constituant qu’elle revendique ? Qui pourrait le dire ? Cela peut dépendre de bien des circonstances ; mais ce qui n’est point douteux, c’est que l’assemblée possède ce droit par cela même qu’elle est la personnification de la souveraineté nationale, et nous nous demandons comment M. le général Faidherbe a pu fonder sa démission sur ce que la chambre s’attribuait des pouvoirs que les électeurs ne lui avaient point donnés. Oui, nous nous demandons comment d’autres orateurs aujourd’hui, après M. le général Faidherbe, peuvent jeter dans un débat ces subtilités théoriques, et nous n’en trouvons qu’une raison bien évidente, c’est que la chambre actuelle ne répond pas à leurs vues. Cela ne suffit pas tout à fait. Comment ! il s’est trouvé un jour où la France accablée par l’ennemi, n’ayant d’autre gouvernement qu’une dictature improvisée dans une heure d’insurrection, s’est vue appelée à faire un acte souverain, à nommer une assemblée, et à cette assemblée elle n’a donné d’autre droit que le triste droit de signer la paix avec la Prusse ! Le pays a songé à limiter d’avance