Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quatrième demi-milliard à leur compter avant le 1er mai de l’année prochaine, et, ces deux premiers milliards payés, il y aura encore trois milliards à donner avant que l’occupation étrangère cesse de peser sur notre territoire, sur notre honneur et sur notre liberté. Voilà la vérité vraie auprès de laquelle tout le reste pâlit singulièrement. C’est là l’idée fixe, la préoccupation obstinée qui devrait rester la souveraine inspiratrice de nos résolutions, de toutes les combinaisons de notre politique. Est-ce qu’il y a une droite et une gauche, est-ce qu’il est permis de se livrer à toutes ses fantaisies dans un pays qui subit la suprême infortune de ne pas s’appartenir tout entier à lui-même, de demeurer, ne fût-ce que pour un temps limité, sous la surveillance de ceux qui lui ont infligé l’amertume de la défaite ? Porro unum est necessarium, c’est le mot éternel de ceux qui ont l’étranger dans leur foyer.

On ne s’en souvient pas assez, et c’est parce qu’on ne s’en souvient pas qu’on arrive presque sans y songer à des situations comme celle où nous sommes, à cette situation étrange, confuse, où depuis quinze jours se déroule une crise qui tient tout en suspens, qui n’a fait que se compliquer d’incidens nouveaux à mesure qu’elle s’est prolongée, et dont le dénoûment même ne peut avoir la vertu de dissiper toutes les incertitudes. Cette crise, on le sait bien, elle est née d’une proposition imaginée par M. Rivet et ses amis pour donner au pays une certaine stabilité au milieu de ses instabilités, pour fixer à demi notre provisoire, et qui a eu d’abord malheureusement un tout autre effet que celui qu’on s’était promis ; mais en vérité, il ne faut pas se le dissimuler, à voir les irritations, les susceptibilités, les froissemens, les violences qui ont fait explosion comme à un signal de combat, il est évident que la crise devait éclater un jour ou l’autre. Elle couvait, elle se préparait ; alors il vaut tout autant qu’elle ait éclaté sur cette question au lieu de continuer à peser sur nous comme un orage lointain et grondant qui menace toujours. Le malheur est que cette question a été engagée un peu au hasard et sans qu’on se rendît bien compte de ce qu’on faisait ; elle ne s’est pas présentée comme elle devait se présenter, elle a eu l’air de prendre des détours ; elle a trop ressemblé, contre l’intention des auteurs de la proposition, à une tentative longuement, patiemment combinée pour trancher ou éluder des problèmes qu’on ne pouvait aborder de front, pour enlever une victoire ou une demi-victoire sur quelqu’un.

Rien n’était assurément plus légitime, plus patriotique que de prendre des mesures contre l’imprévu des crises quotidiennes, de chercher un peu de terrain stable et solide pour y planter deux tentes, celle de l’assemblée et celle du pouvoir exécutif ; seulement il fallait aller droit au fait, il fallait se placer sur le seul terrain où l’on puisse trouver la stabilité relative qu’on recherche justement. C’était et c’est toujours notre pensée que la première chose à faire eût été de se mettre en face de la