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Lorsque la Vénus de Milo fut apportée au Louvre, cet usage était général encore de réparer les antiques et de les remettre, pour ainsi dire, à neuf. D’abord on tâchait de remplacer les morceaux disparus par d’autres morceaux provenant d’autres antiques. Un grand nombre de statues ont aujourd’hui des têtes antiques qui ne leur appartiennent pas, quelquefois d’une tout autre époque, quelquefois s’accordant mal, à d’autres égards aussi, avec le corps. Sans sortir du Louvre, nous voyons plus d’une statue grecque surmontée de la tête d’un personnage romain, plus d’une statue de tel dieu ou de telle déesse surmontée de la tête d’une déesse ou d’un dieu tout différent. Faute d’élémens antiques, on recourait, pour suppléer à ce qui manquait, au ciseau de quelque artiste, quelquefois à celui d’un maître, d’un Montorsoli, d’un Guglielmo della Porta, même d’un Michel-Ange. Il n’en est pas moins vrai que le plus souvent les restaurations ont fait perdre aux antiques une partie de leur valeur. En premier lieu, elles en ont fréquemment changé la physionomie générale et la signification. C’est ainsi que dans notre Louvre encore on voit un Apollon de style grec archaïque devenu, par les attributs qu’on lui a donnés, un Bonus Eventus, une divinité romaine de basse époque, — et une Amazone blessée, dont la tunique relevée au-dessus du genou, costume invariable que les anciens attribuaient aux Amazones, est devenue une robe flottante. On y voit surtout des monumens d’un très beau travail défigurés par des additions d’une grande médiocrité ; mais, la restauration fut-elle faite et avec science et avec talent, il est presque impossible que le travail soit en parfait accord avec le travail ancien, et l’œuvre entière perd ainsi le mérite capital de l’unité de style et d’exécution. Disons enfin que, comprenant la difficulté extrême de mettre les restaurations en parfaite harmonie avec l’antique, on en est venu presque toujours à mettre l’antique en harmonie avec les restaurations. C’est ce qu’on a fait en donnant à la surface de l’œuvre grecque ou romaine, quelquefois avec le ciseau, le plus souvent avec la râpe, l’aspect neuf qu’avaient les parties restaurées. On a ainsi altéré d’une manière irrémédiable la beauté d’un grand nombre d’excellens ouvrages. Notre Diane chasseresse ayant été réparée de la sorte par un sculpteur habile, Barthélémy Prieur, qui n’a pas craint, après avoir restauré les parties qui manquaient, de retoucher presque partout les surfaces, il ne semble plus que l’exécution y ait été à la hauteur de la conception. Il en est de même de la Pallas de Velletri ; il en est de même de beaucoup des plus belles statues que renferment les autres musées de l’Europe et particulièrement le Vatican, de l’Apollon du Belvédère, du Laocoon, de la Vénus de Médicis. De là il est aussi résulté que, comparant ces monumens