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Le Mars de Dresde porte derrière l’épaule gauche la trace d’un bras qui s’y appuyait, et sur le deltoïde gauche on voit une fracture accusant la disparition d’une partie de ce muscle avec le baudrier qu’elle supportait, vraisemblablement aussi avec la main de la Vénus qui venait le saisir. C’est cette main, formant saillie ainsi que le bras, qui aura entraîné toute la fracture. D’autre part, sur cette même figure, à la hauteur de la dernière côte de droite, hauteur où était placée l’épée en général des guerriers grecs, le bas du baudrier a disparu ; mais on voit très bien qu’à cet endroit il ne touchait point. Là se trouvait, entre le flanc et le baudrier, un certain intervalle où se plaçait sans doute la main droite de Vénus prenant ce baudrier et le détachant du corps.

Si après cela on examine attentivement, au point de vue du style, le Mars Borghèse, on reconnaît que, tandis que la tête paraît appartenir, ainsi que la tête et le corps dans l’exemplaire du musée de Dresde, au siècle de Périclès, le corps et les membres rappellent par leurs formes une époque plus ancienne. On y trouve encore accusés ces principes des écoles primitives dont les sculptures du temple d’Égine, construit près d’un demi-siècle avant le Parthénon, offrent de remarquables exemples : un grand développement de la poitrine et des épaules, des membres très forts à leur origine, près du tronc, et se terminant à des extrémités très fines : principes, pour le dire en passant, qui s’expliquent très bien par ce passage d’un ancien, d’après lequel les Grecs prirent pour fondemens de leur système de proportions les conditions organiques du mouvement et de l’action.

Au reste, il n’est pas impossible que l’auteur du Mars Borghèse se soit plu à exécuter le corps et les membres de sa statue dans le goût d’une époque antérieure à la sienne propre, sans que pour cela il imitât un modèle de cette époque représentant précisément le même sujet, quoique cette dernière hypothèse soit la plus vraisemblable. Toujours est-il que le Mars Borghèse et les principales reproductions qui se sont conservées du même type ne peuvent guère, lors même qu’elles ne rappelleraient pas un original plus antique encore, être rapportées à une époque inférieure au Ve siècle avant l’ère chrétienne.

La Vénus associée au Mars Borghèse ou à telle autre reproduction contemporaine du même type remontait nécessairement à la même époque. De là il suit que selon toute apparence elle différait à certains égards de la Vénus de Milo. À cette haute époque, on ne représentait guère aucune déesse nue, ni même demi-nue. On trouve dans diverses collections des figures qui reproduisent évidemment le même type que la Vénus de Milo, mais avec la tunique