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ajouter, et à l’amour lui-même, témoin le fragment de si haut style, malgré les retouches qui l’ont altéré, qu’on appelle communément l’Amour grec. C’est ce qui se concilie sans doute assez malaisément avec les opinions qui ont le plus cours touchant l’idée que les anciens s’étaient faite de Vénus et de l’Amour, mais qui se comprend sans peine quand on sait que Vénus, mère de l’Amour, fut pour eux le génie qui présidait à une union tenue pour sacrée. Aussi bien, avant que Vénus fût assez connue dans l’Attique, l’institution du mariage était-elle rapportée à Cérès, à celle qui établit les rites saints d’Eleusis, dont il était peut-être l’objet le plus élevé. Pourquoi l’art n’aurait-il pas attribué un air de dignité à la déesse à laquelle Euripide croit pouvoir donner une épithète qui est d’ordinaire celle de la reine des dieux, et qu’on ne peut guère traduire que par le terme « d’auguste ? »

Cela étant, veut-on rechercher quel pouvait être l’objet sur lequel la Vénus de Milo posait le pied gauche, peut-être n’en trouverait-on pas de mieux approprié au caractère que son auteur avait voulu lui imprimer sur tout autre en l’associant à Mars que celui qui avait été préféré par Phidias. Phidias avait représenté Vénus un pied posé sur une tortue, et par là il avait voulu, assure-t-on, — la tortue étant un animal qui ne saurait se séparer de sa demeure, — indiquer la fonction propre de la femme, de l’épouse, laquelle est de garder fidèlement la maison.

L’opinion la plus répandue concernant l’idée que les anciens se faisaient de Vénus et de son culte a exercé une influence à divers égards regrettable sur l’art moderne, et même n’a pas été sans vicier chez certains esprits des notions qui touchent de près à l’ordre moral, et la Vénus de Milo, de mieux en mieux comprise dans ce que sa beauté a de digne en même temps que de gracieux, doit servir à rectifier une telle opinion. On peut dire que, par ce caractère de force et de fierté qu’on a généralement noté dans cette statue, elle a quelquefois incliné vers des erreurs d’une autre nature soit l’art, soit même certaine partie de la philosophie de notre époque. C’est une opinion en effet à l’appui de laquelle on entend invoquer souvent la Vénus de Milo, qu’aux époques seulement de décadence on a compris la beauté féminine comme consistant surtout dans la grâce et la délicatesse, tandis qu’aux grandes époques de l’art on a cherché la beauté, pour la femme comme pour l’homme, dans l’ampleur et la force. Cette opinion qui tend à altérer l’idée qu’on doit se faire de la nature féminine, non-seulement au physique, mais encore au moral, le physique et le moral se tenant ici de très près, il suffit pour la réfuter de montrer que, loin d’être conforme aux idées que les anciens se sont faites eux-mêmes de leur art et