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Le groupe dont la Vénus de Milo nous présente un des deux élémens exprimait donc une conception essentielle au génie de la Grèce et à sa religion, mais dont l’autre élément devait, sous cette forme, apparaître de plus en plus rarement, jusqu’à ce que Rome, se rattachant par ses origines, comme je l’ai dit plus haut, à la double légende de Mars et de Vénus, le remît en honneur et en usage.

L’idée de la victoire, fût-ce celle qu’obtiennent l’amour et la persuasion, comporte cependant une sorte de fierté. De là chez la Vénus de Milo, a-t-on dit, et chez toutes les figures qui répètent le même type, la position du pied gauche portant sur un appui élevé au-dessus du sol ; position qui indique une sorte de prise de possession et de domination. De cette attitude, jointe à la position un peu droite de la tête, il résulte chez la Vénus de Milo, malgré beaucoup de douceur dans le regard, certain air de noblesse un peu altière qui ne permettrait pas, selon quelques critiques, d’y voir une image de la déesse de Paphos et de Cythère. Peut-être cette particularité s’explique-t-elle par l’époque à laquelle doit être rapportée la Vénus de Milo.

Cette époque n’est pas celle de Phidias et de Polyclète, car le premier, sans s’astreindre à la rigueur antique, était encore un observateur si sévère de la proportion, qu’on devait pouvoir d’un ongle, disait-il, conclure à toute une figure ; le second réduisit les mesures de la figure humaine à un canon qui devint la loi de l’art. La Vénus de Milo a été exécutée d’après des maximes plus libres que celles qui régnaient à ces hautes époques, — plus libres, à en juger par ce qui nous reste de l’école de Scopas, que celles que reconnaissait encore ce maître, — plus libres même, autant que différens monumens nous permettent de deviner le style de Praxitèle, que celles de l’auteur de l’Apollon Sauroctone et de la Vénus de Gnide. Non-seulement la manière dont les cheveux sont traités dans la Vénus de Milo offre une sorte de savante négligence qui dénote une époque de l’art très avancée, mais il y a quelque irrégularité dans les proportions du col comparées à celles de la tête et du corps, peut-être même dans le rapport de grandeur du corps avec la tête, qu’on peut trouver un peu petite, enfin dans le rapport du haut du torse avec la partie inférieure, laquelle est un peu étroite : — toutes licences qui donnent lieu de croire que l’auteur de cette statue s’est laissé aller, en l’exécutant, à l’imitation de certaines particularités d’un modèle vivant, sans s’occuper de les réduire à ce qu’exigeaient les principes. L’on peut en conclure que la Vénus de Milo est vraisemblablement un produit de l’école ou du moins du temps de Lysippe. Lysippe tenait en haute estime les œuvres de Polyclète, d’où il avait, disait-il, tiré toute sa science ;