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le désarmant. Le caractère des personnages historiques reproduits sur trois de ces monumens prouve qu’il ne peut être question ici des amours dont parle l’Odyssée. L’empereur Adrien et sa femme Sabine n’eussent pas figuré sous les traits d’amans adultères dans deux groupes destinés sans doute à des monumens publics et officiels, si ce n’est même à des temples. Le type en question devait donc représenter Mars et Vénus considérés comme Un couplé conjugal, Vénus, épouse aimable et aimée, persuadant à son époux de déposer ses armes.

M. de Clarac, croyant trouver dans la statue découverte à Milo une Vénus se glorifiant du triomphe qu’elle vient de remporter sur les déesses, ses rivales, proposa de l’appeler Vénus victorieuse ; c’est pourquoi ce nom fut inscrit sur le piédestal qui la reçut. Quatre-mère de Quincy lui donnait la même qualification, comme étant celle que l’antiquité lui attribuait dans le groupe typique auquel elle avait dû appartenir. En effet, la médaille de Faustine, femme de Marc-Aurèle, où se retrouve à peu près ce même groupe, porte la légende, adressée sans doute d’une manière allégorique à l’impératrice : « A Vénus victorieuse. » Émeric David a objecté que sur plusieurs monumens antiques, par exemple sur des médailles de Jules César, le nom de Vénus victorieuse est donné à une déité qui tient d’une main une lance et de l’autre un casque ; il désignerait donc une Vénus guerrière et présidant à la guerre, telle que dans des temps reculés on l’honorait à Sparte, ou Vénus la céleste, qu’on y représentait revêtue d’une armure et des armes à la main. Nous ne demanderons pas si sur ces médailles Vénus victorieuse n’emporte pas tout simplement les armes qu’elle a fait quitter à son époux ; mais, en admettant que sur certains monumens on lui ait donné ce nom pour les victoires qu’elle serait supposée remporter ou procurer dans les combats, ne pouvait-on pas lui attribuer aussi la même qualification, à un titre différent, comme à celle qui, sans force, triomphe de la force ? Un poète grec s’adressant à Vénus lui dit dans ce sens : « Tu triomphes de celui qui triomphe de tous… » En des temps primitifs et dans une ville telle que Sparte, on a pu, tout en honorant Vénus à d’autres titres, en faire aussi une déesse guerrière à l’instar de Diane, protectrice des Amazones, et plus encore de Pallas. Cette remarque s’applique surtout à cette Vénus céleste qui était sans doute conçue comme gouvernant le monde en subjuguant les puissances désordonnées qui l’agitent, et comme inspirant les héros. Cela n’empêche pas que plus tard, quand l’idéal de la déesse prit une forme définitive, on n’ait pu la concevoir autrement : victorieuse, mais remportant une victoire dont le caractère est précisément de mettre fin à la guerre.