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la divinité qui présidait à l’union des deux sexes, union qui chez les Grecs s’élevait à la hauteur d’un acte sacré. D’anciens rites d’ailleurs avaient autorisé quelquefois la prostitution à titre de sacrifice méritoire de la virginité ; et enfin, dans des temps antiques où la société conjugale était loin encore de la perfection où devait la porter plus tard une croyance supérieure, on admettait plusieurs degrés de cette société : de là le sens large du nom même « d’hétère. » C’en est assez pour expliquer qu’on permît aux courtisanes de donner au trafic qu’elles faisaient d’une apparence d’amour une apparence aussi de consécration religieuse ; mais cela n’empêche en rien que la Vénus des Grecs ne fût avant tout le génie du mariage, et c’est ce que nous apprennent en effet des témoignages irrécusables. Vénus était la déesse que les mères invoquaient en mariant leurs filles. Celles-ci passaient alors de la compagnie de Diane, la déesse vierge, à celle de la déesse du mariage et de la maternité. Le type de l’épouse fidèle, Hypermnestre, qui, seule des filles de Danaüs, en dépit des ordres de son père, épargna son mari, ayant été déférée par Danaüs au jugement des Argiens et absoute par eux, dédia une statue à Vénus. De là ces images si nombreuses de Vénus, où, quoi qu’on en ait dit, la beauté est toujours chaste. Il n’importe que les Laïs, les Phryné, les Cratine, les Campaspe, aient servi de modèles pour les formes du corps aux Praxitèle et aux Apelle : le véritable modèle sur lequel ils eurent les yeux fixés fut bien plutôt l’idéal de l’épouse, telle que la montrent Homère et Xénophon, parée à la fois de grâces et de pudeur.

Les statues de Vénus la font voir très souvent entièrement nue : c’était pour l’artiste une occasion souhaitée de faire ressortir toutes les perfections des formes féminines. Ce n’est pas à dire que Vénus fût représentée jamais, comme on l’affirme souvent, faisant montre de ses charmes. Vénus nue, c’est Vénus qui sort, ignorante de toutes choses, de l’écume des flots, comme la figurait déjà Phidias sur un des bas-reliefs du piédestal de son Jupiter, reçue à sa naissance par l’Amour et couronnée par la Persuasion, que les Grecs lui ont si souvent associée pour montrer le pouvoir qu’ont sur le cœur la beauté et l’amour, — ou bien c’est Vénus sortant du bain ; mais cette représentation n’est point ce qu’on s’imagine vulgairement. Dans l’antiquité, le bain ou baptême en général (car baptême et bain sont synonymes) signifiait le passage d’une vie à une autre ; on laissait la première dans l’obscurité des eaux, on naissait, en sortant des eaux, à la lumière d’une existence nouvelle. C’est pourquoi le bain était un rit fondamental du mariage. La fiancée abandonnait aux eaux profondes, comme en sacrifice, toute sa vie virginale ; elle en émergeait pour être ointe de parfums, couronnée de roses ou de