Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de moralité, et même en opposition à toute idée de cette nature. On a donné comme preuve qu’elle était de la part des courtisanes l’objet d’un culte tout particulier, à Corinthe surtout, dans la ville de Laïs, et qu’à Athènes, à Éphèse et en beaucoup d’autres lieux, elle était elle-même honorée sous le nom « d’Hétère, » c’est-à-dire de maîtresse et de courtisane, On a interprété dans le même sens ce fait que Solon, le législateur de l’Attique, avait voulu qu’Athènes, qui possédait un temple de Vénus Uranie, en eût un aussi de Vénus dénommée « celle qui est pour tout le peuple, » d’un seul mot « l’universelle, » ou, comme on a traduit, « la populaire. » Rappelons-nous que le culte de Vénus passait pour avoir été introduit à Athènes par Thésée, qui fonda cette ville en réunissant en une seule cité des bourgs jusque-là épars. N’est-il pas vraisemblable que, par le surnom sous lequel Solon, le second fondateur d’Athènes, voulut que cette divinité y fût invoquée, il donnait à entendre que les diverses tribus ou les diverses classes qui l’avaient jusqu’alors honorée sous des formes et avec des cérémonies particulières auraient désormais à lui rendre réunies un seul et même culte ? Et quelle divinité devait-on proclamer universelle, commune à tous, plutôt que celle dont le culte avait dû jadis diviser le plus profondément la cité ? Si l’on médite les passages du Banquet, de Platon et de celui de Xénophon où ils comparent les deux Vénus et les deux amours qui s’y rattachent, les premiers tout louables, ainsi qu’ils disent, comme présidant à l’amitié entre les hommes, lien spécial des vieilles cités helléniques, on trouve que la deuxième Vénus et le deuxième amour sont pour eux ceux qui gouvernent l’affection et l’union entre sexes différens. L’on peut, ce semble, induire, de là que la Vénus « universelle » était la déesse sous la protection de laquelle était placée l’union conjugale. On sait qu’à Rome les plébéiens pendant longtemps n’eurent point de véritables mariages, qu’ils obtinrent enfin d’y être admis, et que le mariage devint ainsi d’un privilège de l’aristocratie une institution universelle. De même à Athènes la classe inférieure dut être exclue longtemps du mariage religieux ; Solon vraisemblablement l’y fit admettre, et, tandis que l’antique Uranie demeurait la patronne d’amitiés réservées à l’aristocratie, la fondation du temple de la Vénus universelle consacra la grande innovation populaire, — Quant à ce nom d’Hétère, que Vénus portait quelquefois, restreint plus tard à un sens spécial et défavorable, il ne signifiait d’abord autre chose que compagne et amie. Quel nom plus convenable à la déesse du mariage ?

Enfin il est bien vrai que, Vénus fut prise pour patronne par les courtisanes, et qu’on les admit à l’honorer d’une façon toute particulière. Il plaisait à ces femmes de se couvrir de la protection de