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que la statue devait être placée dans une niche ; le fait que cette draperie n’est qu’imparfaitement terminée du côté gauche est, remarquait-il, une preuve qu’il devait se trouver de ce côté quelque objet, vraisemblablement un autre personnage qui la cachait en partie. Toute la figure en outre, vue du côté gauche, offrait un aspect qui n’était pas heureux. — On peut ajouter que ce côté du visage est traité avec plus de négligence que l’autre. — Quel était ce personnage ? C’est ce que faisait deviner la comparaison de plusieurs monumens où l’on trouvait une Vénus très semblable à la statue de Milo pour l’attitude et le costume, et groupée avec un Mars. On y voit Vénus s’adressant à Mars et cherchant à obtenir qu’il dépose ses armes. C’est une conception qu’on retrouve chez les poètes et particulièrement dans ces beaux vers de Lucrèce où, célébrant Vénus comme la divinité qui entretient la vie dans toute la nature, qui ramène au calme les flots agités, dissipe les orages, rend au ciel assombri la lumière, il l’implore afin qu’elle persuade à Mars de mettre un terme aux maux de la guerre. La statue découverte à Milo, concluait Quatremère de Quincy, avait donc appartenu à un groupe qui, à en juger par la beauté rare de cette figure, pouvait bien avoir été l’original dont les monumens analogues offraient des imitations, et ce groupe représentait Vénus apaisant et désarmant Mars.

À cette conjecture on a opposé surtout que les monumens de l’art et de la littérature cités par Quatremère de Quincy étaient les uns de l’époque romaine, les autres d’époque incertaine, et qu’on n’en pouvait rien conclure pour un monument de l’époque proprement grecque, comme l’est certainement la statue de Milo. Si les Romains, disait-on, qui prétendaient descendre par leur premier roi de Mars et par Énée de Vénus, s’étaient plu, en s’appuyant sur le récit d’Homère, à les mettre en relation étroite, il n’en avait pas été de même chez les Grecs ; Mars avait toujours tenu très peu de place dans les monumens de leur religion et de leur art, et on ne l’y voyait guère, du moins à une époque tant soit peu ancienne, associé avec Vénus.

Loin que ces observations me paraissent infirmer la conjecture avancée par Quatremère de Quincy, il me semble que plus on pénétrera dans la religion et dans l’art des Grecs, plus on trouvera que la composition dont il s’agit n’a rien qui ne soit en harmonie avec cette religion et cet art, et que c’est bien en Grèce et non ailleurs qu’il faut en chercher l’origine. Mars n’a pas été sans doute de la part des Grecs l’objet d’un culte comparable à celui que lui rendaient les populations farouches de la Thrace ; pourtant cette divinité répondait à une idée qui ne pouvait être absente de la