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le problème de la restauration de la statue. On voulut y procéder sans retard. Quatremère de Quincy, qui jouissait alors d’une légitime autorité dans tout ce qui touchait à l’histoire de l’art, s’y opposa. Ce n’était pas qu’il fût contraire en principe à toute idée de réparer les antiques ; mais il pensait que la Vénus de Milo avait fait partie d’un groupe où elle était associée à Mars, et, quoiqu’il fondât cette opinion sur l’existence en différens musées de groupes semblables, il ne croyait pas qu’on y trouvât les élémens nécessaires pour rétablir l’attitude du Mars, ni par conséquent la position et le mouvement des bras et des mains de la Vénus elle-même. On doit se féliciter que l’avis de l’éminent antiquaire ait été suivi, et souhaiter qu’on ne s’en écarte jamais. Ce n’est pas à dire qu’il soit aussi impossible qu’il l’a cru de deviner ce que devaient être, du moins quant à leur disposition, les membres qui manquent à la Vénus ; mais, si nous y réussissons, il n’en conviendra pas moins de s’abstenir de toute tentative pour réparer et compléter un tel monument.

Je crois que Quatremère de Quincy a donné au problème de la restitution de la statue découverte à Milo une solution qui est la véritable ; il ne l’a pas donnée aussi précise et complète qu’il est possible de le faire, et il l’a ainsi laissée exposée à des objections que dissipe une détermination plus parfaite du groupe dont la Vénus a fait partie.

On a essayé diverses conjectures pour restituer la statue de Milo dans la supposition où elle aurait représenté un personnage seul, se suffisant à lui-même. On s’est fondé surtout dans ces essais (particulièrement M. Tarral, qui y a porté beaucoup de savoir et de goût) sur la considération d’un fragment de bras et d’une main tenant une pomme qui sont du même marbre que la Vénus de Milo, qui ont été trouvés au même endroit, et qui ont été apportés en même temps au Louvre. Rajustant par la pensée ces fragmens à la statue dont on supposait qu’ils avaient fait partie dès l’origine, on l’a présentée comme une image de Vénus victorieuse de Junon et de Pallas, ses rivales, élevant de la main gauche la pomme destinée « à la plus belle » que Pâris vient de lui décerner. Dans ce système, on ne trouve d’autre emploi vraisemblable à la main droite que de retenir la draperie, laquelle, placée comme elle l’est, n’a aucun besoin d’être retenue et n’offre même aucune partie par où elle puisse l’être. Quant au fragment du bras gauche et à la main gauche, en supposant, ce que rien ne prouve, que ces débris aient appartenu jamais à la Vénus de Milo, qui empêche d’en expliquer la présence par quelque tentative ancienne de restauration, entreprise alors que le personnage avec