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leur unique pensée était d’écraser le Béarnais et d’anéantir ses adhérens. Afin d’y arriver plus sûrement, ils faisaient depuis longtemps cause commune avec l’Espagne, ou, pour mieux dire, ils se vendaient à elle. Délivrés des épreuves terribles qu’ils avaient traversées, les Parisiens les eurent bien vite oubliées avec leur légèreté ordinaire. Ils passèrent aux plus folles espérances, et les seize, qui les flattaient d’une revanche, redevinrent populaires ; tout au moins leur crédit remonta. Cependant un grave échec infligea aux assiégés de la veille une nouvelle leçon. Un coup de main tenté sur Saint-Denis échoua, et leur grand homme de guerre, le chevalier d’Aumale, tomba victime de son audace et de son excès de confiance, La célèbre journée des farines (janvier 1591), en montrant aux Parisiens qu’ils étaient exposés par surprise ou par trahison à voir l’ennemi pénétrer soudainement dans la place, leur fit sentir la nécessité d’avoir des troupes plus solides que la milice bourgeoise et quelques compagnies franches. L’ambassadeur d’Espagne, de connivence avec les seize, en profita pour réclamer impérieusement l’introduction d’une garnison espagnole. Les habitans voyaient cela d’assez mauvais œil. Après la levée du siège, le ministre de Philippe II avait déjà fait une proposition dans ce sens ; on ne l’avait point accueillie, et le parlement s’y était montré surtout fort hostile ; mais cette fois il fallut céder. Le corps de ville se résigna, et Mayenne, à qui on avait écrit, envoya son consentement, bien qu’à regret ; 4,000 Espagnols et Napolitains entrèrent le 12 février 1591, et se logèrent en partie dans les maisons des royalistes absens, en partie dans les collèges déserts de l’université. « Ainsi, comme l’observe justement M. Henri Martin dans son Histoire de France, la garnison étrangère fut installée dans Paris par les mêmes hommes qui, trois ans auparavant, avaient soulevé la ville et fait une révolution avec le seul mot de garnison : » tant il est vrai que les griefs que mettent en avant ceux qui veulent renverser un état de choses ne sont souvent que des prétextes, et que ce que l’on condamne quand on n’est pas au pouvoir, on y recourt, une fois arrivé, pour s’y maintenir. Les Parisiens n’eurent pas au reste à se louer des auxiliaires étrangers qu’ils s’étaient donnés ; les plaintes les plus vives ne tardèrent pas à s’élever contre leurs violences, leurs excès et leurs rapines, et le bureau de la ville dut rendre des ordonnances sévères pour prévenir entre soldats et bourgeois les rixes et les querelles.

La capitale n’était pas précisément assiégée, mais elle pouvait à tout instant l’être de nouveau. L’ennemi se répandait de tous côtés, et chacun de ses succès créait pour Paris un danger de plus. La population vivait pourtant toujours dans les illusions ; les seize et leurs prédicateurs l’y entretenaient soigneusement par de fausses