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Comme il faut attendre à Point-de-Galle l’arrivée des steamers de Calcutta, de l’île Maurice et d’Australie, on y séjourne trente-six ou quarante-huit heures, et personne ne se plaint de ce retard. Il faut demander une voiture au propriétaire de Coolman’s hôtel et se hâter de visiter Walk-Valley, Cinnamon-Garden, la capitale Colombo, et faire, si le temps le permet, une excursion rapide à Candy, petite ville pittoresque située près d’un lac dans les hautes montagnes de l’intérieur. Ce qui vaut mieux encore, c’est de faire ici une halte d’une quinzaine de jours pour visiter tous les sites, les magnifiques forêts de l’intérieur et les ruines fort anciennes de plusieurs temples de Bouddha, La route de Point-de-Galle à Colombo, bordée d’un côté par une mer hérissée de récifs, de l’autre par des forêts, de cocotiers, de goyaviers, de cannelliers et arbres à pain, est ravissante. De temps en temps, on découvre sur les collines boisées les blanches habitations de quelques planteurs, véritables palais entourés de larges vérandahs et admirablement disposés contre la chaleur. Sur le chemin sablé, on croise à tout instant, principalement à la chute du jour, des calèches, des cavaliers, de gracieuses amazones et une nuée d’indigènes de race malabare. La physionomie de ces derniers, empreinte d’une douceur caractéristique, vous attire, et l’on voudrait parler avec eux comme on parlerait avec des enfans. Si les Singhalais portaient des canezous comme leurs femmes, il serait difficile à première vue de ne pas les confondre avec elles. Ce qui contribue à cette confusion, c’est que les hommes portent les cheveux très longs ou retenus au sommet de la tête par un large peigne en écaille. Le sarrau, jupon aux vives couleurs qu’ils roulent autour des reins et qui tombe jusqu’aux pieds, est semblable pour les deux sexes. Malheureusement ce qui vous choque en eux, c’est leur détestable habitude de la mastication incessante du bétel ; il faut en prendre son parti, car cet usage existe chez presque tous les peuples de l’extrême Orient et de l’Océanie. Le croira-t-on ? il est des Européens, qui, après un long séjour aux Indes, sont devenus des mâcheurs enragés de bétel ; ils ont pu voir sans horreur leurs bouches, rougies par la noix d’arec et leurs dents effroyablement déchaussées par la chaux. Plusieurs fois dans mes excursions à Manille, la fille nonchalante de quelque Tagale s’était mise à rouler devant moi, dans une fraîche feuille de bétel saturée de chaux, un morceau de noix d’arec, et me l’avait offert par politesse. J’étais tenu d’accepter, sous peine de paraître dédaigneux de l’attention que l’on avait pour moi ; mais j’ai dû paraître bien mal élevé, car jamais je n’ai pu goûter plus d’une minute cet affreux mélange. Le goût n’est pas seul offensé ; l’haleine devient fétide, le palais se dessèche. Lorsqu’on demande comment des millions d’hommes et de femmes