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frais, et pour les hommes, la tenue la plus légère est autorisée ; les femmes ne peuvent sortir de leurs cabines qu’à huit heures du matin, c’est-à-dire lorsque la toilette extérieure du bateau est terminée. A neuf heures, on déjeune ; à midi, on sert le luncheon, sorte de goûter qui se compose de fruits, de gâteaux et de confitures. A quatre heures, grand dîner, suivi d’un café qui se prolonge jusqu’à six ; à sept, le thé ; enfin, de neuf à dix heures, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on éteint les lumières, les tables restent couvertes de biscuits, de vin de Xérès, de whiskey, de cognac, de rhum, de gin, d’oranges et de citrons verts très parfumés. Cette dernière station devant les flacons est naturellement fatale aux Anglais, car j’ai toujours vu beaucoup d’entre eux regagner leurs couchettes en décrivant des paraboles insensées. Le lendemain, il était amusant d’étudier le visage de ceux qui s’étaient oubliés la veille. Il sortaient de leurs cabines rasés de frais, cravatés de blanc, guindés et sérieux ; si on faisait allusion à leur trop grande jovialité de la veille, ils s’indignaient. A midi, au lunch, presque aussitôt après le premier verre de pale ale, la mémoire et la bonne humeur semblaient leur revenir ; le soir, au dîner de quatre heures, ils étaient de nouveau si enjoués que les ladies attendaient avec impatience le moment du dessert pour quitter la table. Entre l’Anglais qui déjeune au thé le matin et dîne au Xérès le soir, il y a un abîme. Hâtons-nous de remarquer qu’à bord des bâtimens français de la compagnie des Messageries françaises, la table des passagers de première classe n’offre que peu d’exemples d’intempérance. Les Espagnols, les Belges, les Hollandais, les Suisses, préfèrent nos paquebots à ceux de la Compagnie orientale, et même beaucoup d’Anglais leur accordent la préférence.

Aden est situé dans l’Arabie-Heureuse, sur le golfe qui porte son nom. En voyant l’aridité indescriptible de la plage sur laquelle s’élève ce nouveau Gibraltar, on se demande s’il est possible que l’Arabie-Pétrée puisse présenter un aspect plus désolé. Les Arabes qui viennent avec empressement vous offrir les ânes, les chevaux et les voitures destinés à vous transporter à la ville, distante environ de quatre milles du point de débarquement, présentent le type le plus pur des deux Arabies. Rien n’est étrange comme de les découvrir sous un ciel de feu, montés sur la bosse unique de leurs dromadaires, au sommet d’une falaise dénudée, presque nus, les cheveux jaunis et brûlés par la chaux dont ils les couvrent, transportant à Aden dans des outres en peau de chèvre une eau précieuse pour eux, mais impotable pour des Européens.

M. Campbell m’ayant offert de descendre avec lui à terre, j’avais accepté avec empressement. A peine débarqués, nous trouvons sur