Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Caire, mais qu’ignorent peut-être beaucoup de naturalistes français. Un jour Allah eut très chaud, et de la sueur de son noble front naquirent les anges ; il sua de nouveau, et des perles liquides de sa poitrine il forma les musulmans ; il eut très chaud une troisième fois, et, suant bien plus ce jour-là que jamais, il donna naissance aux chrétiens.

On met six heures en chemin de fer pour aller du Caire à Suez. On reste surpris de trouver dans ce parcours du désert, au milieu de sables légers et impalpables, des stations et des buffets comme en Europe ; mais je préférerai toujours le voyage tel qu’on le faisait avant l’établissement de la voie ferrée. On montait alors dans des voitures attelées de quatre chevaux qu’un postillon nubien menait sans relâche au galop jusqu’à Suez. Lorsque je quittai ainsi le Caire, la nuit descendait sur le désert que nous allions traverser ; un officier égyptien en brillant uniforme, le sabre recourbé au côté, monté sur un magnifique cheval arabe, guidait et commandait la caravane, composée de quarante voitures. Quarante fois nous relayâmes ; trois fois on s’arrêta dans de splendides caravansérails où étaient dressées à notre intention des tables somptueuses chargées de fruits, de viandes froides, de sorbets et de vins de toute sorte. A deux heures du matin, lorsque nous eûmes atteint la seconde halte, au lieu de souper ou de m’étendre sur les larges divans dont les tables étaient entourées, je tournai le dos à la station ; m’enfonçant rapidement dans le désert, je m’isolai du bruit, désireux d’être seul dans cette immensité silencieuse, par une nuit sans lune, sous un ciel merveilleusement étoile, et dans lequel pour la première fois je découvris la croix du sud, une des plus brillantes constellations de l’autre hémisphère. Je ne m’arrêtai que devant le squelette d’un chameau ; la route que nous suivions était couverte d’ossemens blanchis, et c’est par ces tristes ossuaires que le chamelier reconnaît s’il ne s’éloigne pas de son chemin. Au milieu du silence profond qui vous entoure, lorsqu’on se trouve ainsi la nuit dans une solitude absolue, l’imagination s’exalte, un recueillement étrange vous envahit. Les gracieuses légendes de la Bible me revinrent à la mémoire, depuis la nuée lumineuse guidant les Israélites au désert jusqu’à l’étoile conductrice de Bethléem. Si le Dieu primitif tel que l’ont conçu les hommes du passé a encore un temple, c’est ici qu’il se trouve : on l’y sent comme vivant, il y est pour ainsi dire palpable, il est dans l’air pur et léger qui vous spiritualise en quelque sorte dans le calme absolu de l’immensité, qui vous efface et fait de vous un atome ; il semble descendre de la voûte céleste comme porté vers la terre sur les rayons des étoiles. On ne s’étonne plus alors que ce soit ici que les patriarches, les prophètes, les cénobites,