Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

sonne ne vous accueillera avec bienveillance. » En s’appuyant sur cette croyance, l’imagination pouvait se donner une certaine liberté. C’est ce qu’on avait vu chez les comiques, par exemple dans les Grenouilles d’Aristophane, où Eschyle, Sophocle et Euripide se retrouvaient dans les enfers. Hypéride à son tour emprunte à cet ordre d’idées son tableau de la réception de Léosthène parmi les héros de l’épopée et du patriotisme athénien. C’est là le morceau capital de son discours sur la vie future, et, sans contredit, l’imagination et l’esprit y sont pour une plus grande part que l’émotion religieuse.

Ainsi une idée oratoire spirituelle et brillante, un langage froid, indécis, voilà ce que fournit à un des plus grands orateurs d’Athènes cette pensée de la mort et de la vie future, qui devint pour l’éloquence chrétienne la source des effets les plus naturels et les plus touchans. Quelle différence avec les paroles que trouve l’oraison funèbre athénienne pour vanter les honneurs que la magnificence de la cité étale aux regards, pour louer la gloire humaine et son immortalité ! Tel est en effet ce qui doit fixer tous les yeux et toutes les pensées en ce jour où la patrie fait, sous cette forme solennelle, appel au dévoûment de ses enfans. Voilà ce qui brille au-dessus des deuils particuliers, voilà ce qui vit, malgré l’appareil présent de la mort, et lui arrache même ses victimes. Nul ne le dit mieux qu’Hypéride, dont l’éloquence ici encore est particulièrement ingénieuse. Ces libérateurs de la Grèce, dit-il, il ne faut pas les croire malheureux d’avoir quitté la vie : « ils ont échangé un corps mortel contre une renommée immortelle… Non, ils ne sont pas morts, car il ne convient pas d’appliquer ce mot à ceux qui ont ainsi renoncé à vivre pour atteindre un but glorieux ; mais ils ont échangé la vie contre une condition meilleure. La mort, si pénible pour les autres, a été pour eux le principe de grands biens : comment alors ne penserait-on pas qu’ils ont été favorisés par la fortune, et qu’ils ont, non pas cessé de vivre, mais obtenu une seconde naissance, plus précieuse que la première ? Celle-ci n’avait fait d’eux que des enfans privés de raison : ce sont aujourd’hui des hommes de bien. Auparavant c’était seulement au prix de beaucoup de temps et de beaucoup d’épreuves qu’ils étaient parvenus à montrer leur courage : ils renaissent illustres et célébrés par toutes les mémoires pour leur vertu. » Il y a peut-être quelque raffinement dans l’explication de cette palingénésie par la gloire ; mais le mouvement entraîne, et ce que nous y trouvons d’ingénieux et de subtil ne dut pas déplaire à des oreilles athéniennes. Nous touchons ici à la vraie pensée de ces funérailles publiques. C’est pour l’exprimer que l’orateur déploie son art et sa puissance et devient le rival des poètes : le patriotisme