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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

nées de la politique et qui en vivaient, la politique seule pouvait produire des transformations. — Ce n’était pas le goût novateur d’Aristophane ni d’aucun autre poète, c’était l’avénement de l’oligarchie, qui avait fait succéder à la comédie ancienne la moyenne et la nouvelle comédie. De même ici c’est une modification profonde de la démocratie qui altère à ce point le caractère essentiel d’un genre qu’elle avait créé pour sa propre satisfaction. En réalité, le discours d’Hypéride, quelle qu’en soit l’incontestable valeur, marque la fin de ce genre en même temps que le déclin de la démocratie. Il témoigne même de la décadence du patriotisme au moment où il en célèbre le triomphe. En dépit de l’appareil de la solennité, malgré la sincérité de l’enthousiasme dont il s’inspire, il laisse sentir la tristesse et la misère des temps. Les citoyens qui viennent de succomber sont les dignes émules des soldats de Marathon et de Salamine, — c’est le compliment d’usage ; mais quel est leur premier titre à une pareille assimilation ? Ils ont marché eux-mêmes contre l’ennemi ; ils ont soutenu de leur présence les troupes mercenaires, sans lesquelles il n’y a plus de succès ni de guerre possibles. Depuis longtemps, Démosthène avait réclamé cet effort de ses concitoyens, et cette faiblesse chez les Athéniens remonte jusqu’au-delà des premières menaces de la puissance naissante de Philippe. Voici un trait de mœurs de date un peu plus récente : ce n’est plus l’état qui réunit et forme régulièrement les corps de mercenaires, il y a en dehors et à côté de l’état des chefs de bandes toutes constituées, dont la bonne volonté peut lui être précieuse ; le premier éloge qu’Athènes décerne par la bouche de son interprète à Léosthène, c’est de lui avoir donné des auxiliaires rassemblés d’avance et tout prêts à la servir. Tel est le bienfait par lequel il a d’abord mérité la récompense posthume qui lui est personnellement destinée.

Rien n’est plus significatif que cette récompense elle-même. Un demi-siècle auparavant avaient été inaugurées les statues personnelles et ressemblantes : ainsi un artiste avait représenté Chabrias dans l’attitude du combat comme lorsqu’à la tête d’une troupe de concitoyens il avait soutenu le choc des Spartiates. Pour qu’on vît à Athènes cette dérogation à la coutume sévère des ancêtres, il avait fallu les désastres inouïs de la guerre du Péloponèse et une telle diminution du sentiment national, que les Athéniens n’osaient plus regarder en face les soldats de Sparte. L’honneur rendu à Léosthène est, sous une nouvelle forme, la répétition du même phénomène politique. Il ne s’explique que par l’humiliation profonde qu’Athènes subissait depuis de longues années sous la domination de la Macédoine, et, malgré la force de l’illusion présente, il est

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