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nèbre athénienne était anonyme ; elle n’était l’éloge de personne en particulier. Les funérailles publiques n’étaient pas décernées au chef dont les talens militaires avaient bien servi l’état ; le peuple qui défendait d’inscrire le nom de Miltiade au-dessous de la bataille de Marathon, peinte sur un mur du Pœcile, ne pouvait accorder à un citoyen un pareil honneur. C’étaient tous les citoyens qui étaient appelés à une fête commune. Tous les morts étaient également célébrés, tous les survivans avaient part aux louanges, car c’était le pays qui se glorifiait lui-même dans ses enfans légitimes, les rapprochant et les réunissant dans une communauté de priviléges et de gloire. C’était lui qui avait donné naissance à une race unique dans le monde, noble, généreuse, de tout temps capable de grandes choses et du dévoûment dont elle venait encore de donner un récent exemple ; c’était lui qui, par des institutions libérales, avait nourri et perpétué en elle la force et la pureté des qualités originelles ; c’était donc lui qui se rendait à lui-même un juste hommage. Ce cercle étroit et rigoureux dans lequel l’oraison funèbre semblait à jamais enfermée ne pouvait admettre l’éloge particulier d’un homme, quelque illustre qu’il fût ; c’eût été une offense envers la démocratie et une sorte de défi jeté par l’orateur à l’implacable et vaniteuse jalousie de son public.

Or c’est précisément ce que fait Hypéride : le nom de Léosthène retentit dans tout son discours. — C’est Léosthène qui a fait décider la guerre et qui l’a conduite comme général. « S’apercevant qu’il fallait à Athènes un homme et à la Grèce une ville qui pût se mettre à la tête du mouvement, il s’est donné à sa patrie et a donné sa patrie à la Grèce pour marcher à la liberté. » C’est lui qui a remporté les premières victoires, et maintenant qu’il a succombé, « c’est sur les fondemens posés par lui qu’on élève les succès actuels. » Cependant, demande l’orateur par un scrupule démocratique, les autres Athéniens qui sont tombés aussi sur le champ de bataille ne sont-ils pas sacrifiés dans ce panégyrique exclusif ? Leur éloge est nécessairement compris dans celui de leur chef, car toute victoire du général suppose la vaillance et le dévoûment des soldats. Hypéride leur attribue d’ailleurs une belle part de louanges. Il exalte leurs actions et leur gloire sur la terre, il les admet dans la partie des demeures infernales habitée par les héros ; mais là encore ils ne forment que le cortège de Léosthène, tandis que celui-ci va rejoindre le groupe glorieux des Miltiade, des Thémistocle, d’Harmodius et d’Aristogiton. Est-ce encore l’oraison funèbre athénienne ?

La hardiesse qui paraît avoir été dans le caractère d’Hypéride ne suffit pas pour expliquer une transgression si complète de la loi originelle. Dans ces œuvres littéraires de l’antique Grèce qui étaient