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avouons dans toute conversation où se rencontrent deux Français possédant le sentiment de l’histoire nationale et quelque peu soucieux des destinées futures de leur pays?


I.

Ce que nous pensons tout bas, les uns en se soumettant docilement à la vérité, les autres en rechignant contre les clartés de l’évidence, c’est que la banqueroute de la révolution française est désormais un fait accompli, irrévocable. Il n’est pas une seule de ses promesses que la révolution n’ait été impuissante à tenir, il n’est pas un seul de ses principes qui n’ait engendré le contraire de lui-même, et produit la conséquence qu’il voulait éviter. La liberté! elle n’a jamais pu nous la donner qu’avec intermittence, et elle nous l’a toujours donnée sans franchise. L’égalité! elle l’a compromise par une interprétation brutalement matérialiste qui, renversant les rôles, reconstruit au profit de la pauvreté et de l’ignorance les privilèges de la science et du rang. Pour toute fraternité, elle ne nous a fait connaître jusqu’à présent que celle de Caïn pour Abel, et il ne semble pas qu’elle se dispose à enchaîner prochainement nos cœurs de sympathies plus douces. Le règne de la loi, seule souveraine absolue selon ses doctrines ! nous avons vu vingt fois la révolte l’interrompre. La souveraineté nationale! nous avons vu comment s’en jouent les minorités factieuses qui ont créé en leur faveur un nouveau droit tout aussi redoutable, mais beaucoup moins net et moins intelligible que le vieux droit à l’insurrection. Les droits de la conscience ! nous savons avec quel respect ils ont été traités. L’unité nationale, cette œuvre patiente des siècles achevée par la convention, cette unité par laquelle la révolution française, quelle que fût l’étendue des gouffres creusés par elle, se rejoignait et se soudait sans effort à la tradition séculaire de la France, nous l’avons vu nier et menacer par cette doctrine soudainement sortie de terre sous le nom de commune, qui ne demandait rien moins que la désagrégation de toutes les molécules nationales. L’idée de patrie, naguère si puissante ! la prédominance des nouveaux intérêts créés par la révolution, et qui sont d’ordre trop exclusivement économique, l’a singulièrement affaiblie, le cosmopolitisme des nouvelles doctrines populaires la nie, ou l’ignore, ou se tait sur son compte, ou n’a l’air d’y tenir que médiocrement. La suprématie politique de la France! la révolution l’a perdue pour avoir trop voulu l’étendre, tantôt par une propagande armée à outrance, tantôt en se proposant à l’imitation des peuples et en leur soufflant à l’oreille le mauvais conseil d’une funeste émulation. Prenez n’im-