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grade, de Constantinople, de Vienne même, les objets les plus luxueux. Un savant de cette province vient de publier sur l’histoire ancienne du pays une monographie en grec moderne ; c’est un patriote émérite ; cependant il n’a pas assez d’éloges pour le sultan, et rien ne l’y forçait, car ce souverain n’a aucun rapport avec les rois odryses, et quel Turc lira cette brochure ? Tous les contrastes sont dans ces natures à demi orientales. Un journaliste de Constantinople, qui en Grèce passait pour très philhellène, n’a pas fait difficulté de solliciter la place de secrétaire chez le vali de La Canée ; il ambitionnait la mission de soumettre l’île à la puissance ottomane ; ses amis politiques n’ont vu aucun mal à cette conduite. Un des membres les plus distingués de la diplomatie turque contemporaine a passé sa jeunesse à Athènes dans les bureaux des affaires étrangères. Durant la guerre de Crète, les mêmes banquiers à Constantinople s’inscrivaient en secret pour donner des armes aux insurgés et offraient un emprunt à la Porte. Si bien disposés que nous soyons à l’égard des Grecs, il faut nous habituer à ces antithèses sous peine de ne rien comprendre à l’Orient.

Ce n’est pas assez de remarquer le petit nombre de voix accordées aux non-musulmans dans le conseil général des vilayets, il faut noter qu’il n’y a pas dans la province plus de 700,000 Turcs ; ainsi 1,300,000 non-musulmans n’ont que cinq représentans pendant que les Osmanlis en ont le double. Dans d’autres provinces, les proportions sont plus étonnantes encore. En Épire par exemple, les chrétiens sont dix fois plus nombreux que les musulmans ; ils n’ont cependant pas plus de conseillers que ceux de Roumélie. Dans le sandjak de Janina, nous avons le tableau suivant : 1 vali président, 7 fonctionnaires, 3 élus mahométans, en tout 11 mahométans sur 4,246 habitans de religion musulmane, soit 1 sur 386, — 2 chrétiens élus sur 61,150 habitans, soit 1 sur 30,575, — 1 élu Israélite sur 1,500 habitans. Dans les sandjaks d’Arta et de Prévésa, les chrétiens sont vingt fois plus nombreux que les musulmans. Ce qui est plus étrange, c’est que, dans beaucoup de cantons où les musulmans n’avaient autrefois aucune autorité, la loi sur les vilayets leur donne une sérieuse puissance ; l’administration mixte en effet, c’est l’introduction forcée des musulmans dans le conseil, n’y eût-il dans ce kazas que cinquante Turcs. — Metzovo n’est habitée par aucun musulman ; en 1856, pour la première fois, les habitans ont vu les autorités chrétiennes partager leur pouvoir avec le mudir et le cadi.

Les deux chrétiens du conseil d’administration à Andrinople et dans les autres villes de Roumélie ne peuvent avoir la vocation du martyre. Ils vont à jour fixe au séraï, assistent aux délibérations ; tout ce qu’on en doit exiger, c’est que dans certaines occasions ils